Anachroniques

26/09/2010

La Mort en jeunesse

Laine Jean-Daniel, L'Oiseau et la bille, illustrations de Régis Lejonc, éditions L'Edune, 2006, 44 p., 12€80
(publié dans une collection pour les premiers lecteurs, l'album peut être proposé jusqu'à la dixième année).
Le récit de Lainé est porté par une narration à la première personne, celle d'un enfant (fille ou garçon) atteint d'une tumeur au cerveau. L'album s'adresse à tout enfant.
L'histoire repose sur une alternance entre la vie de la journée de l'enfant, étendu sous un arbre une journée ensoleillée, et le guet d'une chatte non loin d'un oiseau imprudent, à quelques mètres d'elle. L'enfant regarde la chatte qui regarde l'oiseau. Voilà la situation, structurée par ce jeu de regards avec, pour tension dramatique, la menace qui pèse sur l'oiseau. Mais, ce dédoublement du récit permet d'opérer une médiation avec la parole sur le cancer dont est atteint l'enfant. Celui-ci nous conte son histoire au présent. Surviennent aussi des souvenirs de la maladie, de sa survenue, des rapports familiaux qui s'en sont suivi, du quotidien qui a changé.
Le récit est remarquablement traduit par l'œuvre graphique de Régis Lejonc qui effectue une narration au trait et à la couleur qui colle à l'histoire, la sert, soulignant ses tensions sans noyer l'âpreté du propos.
Cette structure en alternance est redoublée par le choix des dominantes de couleurs des double-pages.
Le travail éditorial est aussi un apport à l'histoire, par des touches simples comme ces pages de garde, les premières vertes et les dernières bleues, pareilles au ciel de la fin du récit. Espoir ? Sursis, en tout cas, puisque l'oiseau s'est envolé, l'enfant ayant trouvé la force d'un cri pour le (donc se) sauver. Cette fin nous rappelle cette phrase d'un enfant de 10 ans : "Ce n'est pas vivre longtemps qui compte, c'est vivre fort" (1). Elle est l'occasion, aussi, de rappeler que trois enfants sur quatre guérissent de cancers.
Si le livre peut sembler prioritairement destiné à des enfants malades, il s’adresse, tout aussi bien, à tout le jeune lectorat. Les enfants se soucient de la mort et un discours de vérité sur elle est nécessité pour ne pas créer des fragilités chez l'enfant. Et c'est le choix de l'auteur dont c'est le premier ouvrage publié. Louons, aussi, un autre choix, celui de ne pas multiplier les références érudites. Seul Le Petit Prince de Saint-Exupéry apparaît avec l'allusion –sortie du texte pour être réintroduite au niveau de l'illustration- à la citation "on n'y voit bien qu'avec le cœur".
(1) cité par Hélène Voisin dans le numéro 99/100 de Thanatologie, de décembre 1994 p.136

GOMI Taro, Monsieur Squelette, Gallimard Jeunesse, collection "Album", 2006, 40 p., 12€
De 4 à 8 ans et plus.
Ce livre est un chef d'œuvre. Le graphisme de Taro Gomi, un des plus grands créateurs japonais contemporains, est exceptionnel. La situation initiale du récit est absurde : un squelette se réveille en sursaut avec le sentiment cauchemardesque d'avoir oublié quelque chose, mais quoi ? Et voilà notre squelette déambulant dans la ville et à la campagne à la recherche de son oubli. Alors, il tente de se souvenir, s'aidant de ses rencontres. Mais chacune tourne court, selon une symétrie de construction qui amène peu à peu à lire l'album à la manière d'une comptine. Evidemment, ce mort rendu à la nudité de son squelette à la recherche de l'oubli crée des situations cocasses. En fait, ce sont ses dents qu'il a oubliées. L'avant dernière image nous le présente se lavant les dents.
Les couleurs en aplats sont douces bien que nettement contrastées et surtout, le support crée un effet de matière qui rend l'image particulièrement attrayante. Même si Taro Gomi privilégie les formes géométriques, l'univers reste accueillant. Un livre remarquable.

Ph. G.

19/09/2010

Pierre Coran, le compteur



Coran Pierre, Comptines pour ne pas chuinter, illustrations de Lemaître Pascal, Casterman, collection Direlire, 2009, 32 p. 6€ ;
Coran Pierre, Lemaître Pascal, Comptines pour ne pas zozoter, Casterman, collection Direlire, 2009, 32 p. 6€;
Coran Pierre, Lemaître Pascal, Comptines en mots d’ici et d’ailleurs, Casterman, collection Direlire, 2009, 32 p. 6€;
Coran Pierre, Lemaître Pascal, Comptines en trompe-l’oeil, Casterman, collection Direlire, 2009, 32 p. 6€
C oran Pierre, Comptines en motamo, illustrations de Lemaître Pascal, Casterman, collection Direlire, 2009, 32 p. 6€ ;
Coran Pierre, Comptines de bouche à oreille, illustrations de Lemaître Pascal, Casterman, collection Direlire, 2009, 32 p. 6€;

La collection Direlire est formidable. Pierre Coran bâtit une œuvre intéressante de comptines. Le premier album repose entièrement sur les jeux de sonorités (une mouche a mouché les chandelles de la chapelle). Bien évidemment, on peut s’appesantir sur les proximités orthographiques, la paronymie au niveau de l’écrit. Là, le pédagogue trouvera une grande richesse scripturale à exploiter.
Le second joue, justement du rapprochement de mots pour faire fourcher la langue. Il se lit plus qu’il ne s’écoute. Si on définit la comptine comme ce qui se compte, on n’est pas vraiment dans la comptine mais plutôt dans un exercice oulipien d’écriture.
C'est le cas du troisième album composé de mini poèmes bien rythmés et jouant sur la paronymie sans en faire le centre de la création. Mais dans les deux cas, la comptine a pour but de créer un univers de paronymie et de susciter le rire par la difficulté à enchaîner la prononciation d’une phrase ou de syntagmes. La jouissance du langage ne naît pas, ici, de l’harmonie rythmique créant la fusion des sons mais de la disharmonie née de l’entrelacs des paronymies et homophonies. On parlera de comptines, en revanche, si on s’appuie sur la mise en corps que suscitent toute parole et toute diction, une mise en corps par l’effraction. Mais, si la lecture à voix haute joue avec ces textes, la simple lecture joue avec leur écriture, tout autant. Le titre du quatrième album est explicite à cet égard. Imaginez un livre privé d’un e, un cheval sans l, un ours qui a gagné un d, un lapin qui ne trouve plus son la, un python sans py, un cabot qui a troqué son t pour un l… et ainsi sur vingt-quatre comptines fondées sur des jeux de sémiologie scripturale. Alors, en revanche, est-ce encore des comptines ? Oui si on verse dans le non sensique ou encore dans les textes qui sont proches des formulettes. Là encore, toutefois, nous sommes plus proches de l’exercice oulipien. Mais, passée cette réserve, c’est un vrai bonheur et une invitation à en créer bien d’autres, de ces petits bonheurs sémiologiques.
Le cinquième album permet de mettre l’accent sur l’identité de structure des comptines. Ce qui est variation phonique permettant de se lancer vers une nouvelle strophe correspond, à chaque fois, à une variation graphique. On va travailler avec l’élève ou bien on va s’amuser avec l’enfant à identifier la structure du texte, et à inventer des mots pour aller vers d’autres mots.

Avec le sixième album, on est sur le registre phonique des comptines. Mais là encore, l’étude de chaque texte permettrait de travailler avec des enfants qui apprendraient l’écriture des paradigmes de familles de mots, de mots composés sur un même patron, de mots dérivés. Le travail sur des couples de circonstants comme les adverbes de temps (tôt et tard dans la comptine le nez nu), ou l’énumération.
A bien y regarder et non à bien entendre seulement, les comptines offrent une kyrielle de travaux plaisants proches du jeu pour découvrir des mots, des structures syntaxiques, des schémas de composition et de dérivation de mots. Les textes courts de Pierre Coran agréablement illustrés par Lemaître, parce qu’ils reposent sur un grand soin d’écriture permettent de travailler avec l’enfant le rythme ou la rime. Expliquons-nous. Le rythme est travaillé quand on amène les élèves à l’anaphore, celle-ci pouvant être purement graphique, la disposition sur la page expose le rythme. De même, les rimes peuvent être travaillées pour leur rendu visuel ce qui impose d’élargir son dictionnaire mental. La comptine peut ainsi, accompagnée de travaux de création de textes brefs, très courts, s’avérer être un genre riche de potentiel d’apprentissages.


Le mot de l’auteur


Nous interrogeant sur les choix de création de Pierre Coran, nous avons décidé de contacter l’auteur dont nous livrons, ci-dessous la réponse :
« Bonjour, Philippe Geneste! Je réponds à votre question sur la comptine. Ce genre littéraire, comme vous le savez, date du début du 20e siècle (1922, selon le petit Robert!). Son utilité dans les cours de récréation était manifeste. De nos jours, les écoliers n'utilisent plus ou si peu une formule enfantine pour l'un ou l'autre jeu de rôle passé de mode. Notre objectif est de renouveler la comptine afin qu'elle soit parlée et chantée dans les classes. Nous privilégions donc un texte court, rimé et rythmé (différent du poème plus transposé et souvent plus à lire qu'à dire) que l'enfant peut mettre en musique, rythmer sur un tambour ou une bouteille, frapper dans les mains, un texte vivant, quoi ! C'est ce que j'initie lors des animations scolaires.
Les élèves de tous âges prennent beaucoup de plaisir à faire vivre cette sorte de comptine d'aujourd'hui (ou contine, le mot est inconnu au dictionnaire, mais joli à regarder). Un exemple: faire du rap avec un cochon d'Inde. La comptine :


LE COBAYE

Le cobaye
N'a pas de queue.

Le cobaye
N'a pas de cou.

Pas de queue,
Pas de cou

Mais des dents:
Un point c'est tout!


Je commence souvent mon animation par un défi : cette comptine est à mémoriser en une minute. Ensuite, elle est dite en rythme (lent, rapide, dans le souffle) puis chantée. En rap, c'est facile... L'ambiance est créée et la poésie des mots se mue en joie.
»
(Échange épistolaire du 23 mars 2009)

Philippe Geneste

12/09/2010

Comptines

Nous placerons les chroniques qui suivent sous l’égide d’un ouvrage essentiel, synthétique, gouailleur et intelligent, précis et documenté, le livre de Bruley Marie-Claire, Painset Marie-France, Au Bonheur des comptines, Didier Jeunesse, collection Passeurs d’histoires, 2007, 290 p. 19€ La table des matières est explicite : tradition et transmission ; rythmes et joies du comptage ; les sons et les mots : un plaisir de bouche ; le jeu des enfantines entre corps et parole ; formulettes et règles du jeu ; de la fantaisie au nonsense ; expression des émois les plus intimes ; face au mystère, des paroles incantatoires ; au bonheur de créer ; conclusion. Ajoutez à cela une bibliographie et une discographie, un glossaire qui est une immersion dans les genres oraux qui jouxtent la comptine et enfin un index des comptines citées, et vous aurez l’idée de ce livre : excellent, pratique pour l’éducateur, enseignant, parent etc. Et puis, comme il y est question de la fabrication des comptines -car lorsqu’on approche la question du genre, on tombe dans la perplexité des classements- l’ouvrage ouvre des pistes de réalisation personnelle pour ses classes.

Horeaux Alex, Peraldi Olivier, Puiu Manu, Jackie la pie / Cotofana Jackie, povestioare comptines, Bilingue français/roumain, L’Harmattan, 2009, 16p. 7€
Voici un très bon ouvrage interculturel où les berceuses côtoient les comptines à compter et le texte à chantonner. Les thèmes en sont soit potager soit animaliers.

Peraldi Olivier, Le Corbeau d’Arcimboldo / Corbuf fui Arcimboldo, Bilingue français/roumain, L’Harmattan, 2009, 16p. 7€
Entre conte et comptine, le texte, drôle renvoie à l’Italie de la Renaissance, et à l’œuvre du peintre célèbre. Le récit porte sur la différence et l’image de soi : un corbeau c’est noir, n’est-ce pas ?

Devaux Stefany, Une Poule sur un mur…, Didier jeunesse, collection Les p’tits Didier, 2009, 24 p. 5€30
Voilà une bien vieille comptine. Mais, s’agit-il d’une comptine ? D’une ritournelle ? D’une rimaille ? D’une cantilène ? D’une kyrielle ? D’une disette ? D’un comptage ? Nous dirons qu’il s’agit d’une comptine.
Et d’où vient-elle ? Nul ne le sait. Mais, on sait, en revanche qu’elle fut une formulette d’élimination et qu’elle est, aujourd’hui une source de joie par ses rimes et son rythme.
Cet ouvrage, avec ses grands dessins et aplats de couleur, poursuit la comptine avec une poule rousse, ou grise ou bleue, jouant des mots, des sons, de la surprise et des situations abracadabrantesques. C’est un petit régal à dire devenu petit régal du regard.

Mollet Charlotte, Loup y es-tu ?…, Didier jeunesse, collection Les p’tits Didier, 2009, 24 p. 5€30
Quelle intelligence du dessin et des couleurs ! Le texte ? Une ritournelle dont le motif est repris en titre, et qui entrecoupe l’avancée d’une historiette pas si drôle que ça, mais on le sait, « le loup n’y est pas, il ne te mangera pas ».

Lallemand Orianne, Bonnet Rosalinde, Picoti Picota, Casterman, collection A la queue leu leu, 2009, 22 p. 9€95
Voici un ouvrage particulièrement intéressant pour les enfants sourds, et donc pour les enfants entendants aussi. Les images et les mots s’entraînent l’un l’autre. On part de « une poule sur un mur » pour aller vers de multiples variantes créées pour l’occasion. Le jeu des sonorités n’est pas effacé, certes, mais on peut lire le livre à partir de la correspondance image / mots et non pas images / sons. Chaque double page est peut être l’occasion de multiples échanges avec l’enfant et pas seulement à partir du schéma de la comptine.

Deneux Xavier, Il était un petit navire, Milan, collection Contes et comptines à toucher, 2009, 14 p. 13€ ; Turdera Cristian, Une Poule sur un mur, Milan, collection Contes et comptines à toucher, 2009, 14 p. 13€
Cette collection de chez Milan s’adresse avant tout à la petite enfance. Ces deux livres y ont une place très particulière puisque le texte est un classique de la comptine ou de la ritournelle. Ils nous intéressent, ici, en ce que le texte s’accompagne d’un dispositif de dessins, de peinture et d’éléments à toucher qui permettent de commenter le texte par ce qui l’illustre, dont le toucher. A l’intérêt pour le langage écrit s’ajoute un commentaire en action sur le livre lui-même que l’on peut faire accomplir par l’enfant.
En conclusion, la centration de la lecture soit sur l’illustration, soit sur la mise en page, soit sur le matériau de présentation du livre fait régresser l’aspect incantatoire du texte des comptines. En revanche, cette centration permet de travailler l’insolite de situations créées par le langage, de permettre à l’enfant -par exemple par le travail sur des structures syntaxiques servant à structurer le texte complet- de rencontrer la formulette (un genre littéraire que la comptine englobe) et de s’approcher des virelangues par la vue et pourquoi pas vers le vire-oreilles en second ? La comptine présente l’intérêt d’un texte simple, à la puissance créative contenue dans le procédé de mise en texte. N’est-ce pas un bon argument pour s’y aventurer avec les enfants, sourds comme avec tous les enfants ? Nous nous permettront de convoquer les dernières lignes de l’ouvrage recommandé au début de la chronique : « Ce monde fabuleux leur [aux enfants] appartient, ils en sont les passeurs et il nous reste à nous adultes, d’en favoriser l’accès avec sensibilité et créativité » (Marie Claire Bruley & Marie-France Painset, Au Bonheur des comptines, Didier Jeunesse, collection Passeurs d’histoires, 2007, p.173).
Philippe Geneste

05/09/2010

Contes sauvages

Sibran Anne, Les Bêtes d'ombre. Un conte sauvage, dessins de Stéphane Blanquet, Gallimard jeunesse, collection Giboulées, 2010, 40 p. 17€50 Album pour les préadolescents et adolescents


Le sous titre est explicite. Nous avons lu ce récit comme un conte des temps modernes, un conte des temps de guerre. Qui sont les bêtes d’ombre ? Des pères et des mères, arrachées à l’humanité par une histoire d’avant inconnue, une histoire de cendre et de sang. Que représentent-ils ? Une humanité ayant honte d’elle-même, qui se cache et ne pérégrine que de nuit. Et les enfants sont leurs guides. Ils sont les porteurs du passé. La quête de cette colonne des réprouvés ? Retrouver les noms, reformuler par les mots les liens humains perdus. Y réussiront-ils ? Oui ; mais une fois les peurs vaincues. Car la peur est peut-être l’unique héroïne de ce récit sombre et sauvage, quelque peu hermétique.
Les dessins de Blanquet informes et gris campent un paysage de cauchemars et des êtres mi- choses mi-hommes, mi-animaux. Seules des traînées de jaune d’or parsèment quelques espaces, sans jamais l’emporter vraiment, sinon dans les deux dernières planches où les visages monstrueux des parents apparaissent et où le paysage de mort est illuminé. On ressort du livre mal à l’aise, interrogé par tant de noirceur et interpelé par l’énigmatique sens de l’ouvrage.


Almond David, McKean David, Le Sauvage, traduit de l’anglais par C. Dutheuil de la Rochère, Gallimard jeunesse, collection Album junior, 2009, 80 p. 13€

On est tenté de dire qu’il existe peu de roman graphiques pour la jeunesse. Mais cette affirmation n’est vrai qu’à condition d’excepter l’album en tant que variante pour les petits du roman graphique. Aussi, c’est avec un grand intérêt que nous nous sommes plongés dans l’analyse de cet ouvrage.
L’auteur a choisi la forme du carnet tenu par le héros lui-même, un enfant, Blue, qui vient de perdre son père et qui vit une dépression. La psychologue qui le suit lui a conseillé d’écrire ses pensées. Mais c’’est un fiasco ; en revanche, l’enfant décide de raconter pour lui-même l’histoire d’un personnage qui s’impose à lui, un jour de grande détresse. Ce personnage est un enfant sauvage, son double, en fait. Il vit comme aux temps préhistorique, dans une grotte où il trace ses créations du monde représentant sa vie et ses émotions, come l’enfant qui utilise, lui un crayon et un carnet. Le livre va, dès lors se confondre avec le carnet de l’enfant, il est écrit à la première personne, fautes d’orthographe comprises, au début, car à al fin, elles vont s’effacer. Une atmosphère visuelle se met alors en place grâce au programme narratif donné à l’illustrateur. Comme rien n’est dit du directeur artistique pour la mise en page, on peut penser que c’est les deux auteurs qui l’ont assumée. L’illustration confine souvent à la bande dessinée, mais reste en retrait par rapport à l’encadrement par l’écriture (mise en page du carnet).
On retrouve le malaise qu’on a, par exemple dans sa Majesté des mouches de Golding, avec l’univers de cruauté des enfants ; on touche du doigt la souffrance de l’enfant souffre douleur d’un costaud de son école et qui rêve de vengeance pour asseoir sa dignité. Le sauvage va servir à ce dédoublement de la personnalité où se lit la détresse du personnage et où se lie les paradoxes de l’être : civilisé/sauvage. Dans ce couple, c’est le sauvage qui est source de la vie alors que le civilisé est anémié, porteur de mélancolie et de mort. Le sauvage va lui procurer le désir de survivre à son père mort.
Il n’y a pas de bien et de mal dans ce récit. Il n’y a que la nécessité affirmée de garder sa dignité d’humain face à ceux qui veulent vous écraser, vous asservir. Cette dignité est apportée par la part du sauvage en Blue. S’il n’y a pas de bien et de mal, c’est parce que le sauvage apporte la notion du juste. Quand le lecteur ferme le livre, l’enfant a trouvé son identité, et probablement, a-t-il, aussi accepté la mort du père. Il a résolu seul (avec son double) les conflits avec Hopper (l’élève qui le harcèle).

Geneste Philippe