Anachroniques

24/10/2010

Et clic dans l’blog

David, François, Flic, flac, scratch, um… et autres bruits de mots, illustrations David Merveille, Milan, collection Quelle Poésie !, Milan poche, 2004, 24 p, 4€
Voici un livre très (trop ?) riche pour des enfants dès 6 ans. C'est un livre très riche en ce qu'il s'appuie sur les onomatopées, commençant par des jeux de sons avec ces mots du réel. Mais le livre amène l'enfant à jouer avec ces sons pour en faire des poèmes qui défilent sur des illustrations gaies et joyeuses. Qui plus est, certaines pages s'amusent à comparer l'appréhension différente des bruits selon les langues d'origine. L'humour, ne fait pas que sourdre des sonorités, il est constitutif des chutes des historiettes poétiques, autant qu'il s'impose par l'illustration gentiment délirante de Merveille. Vraiment, ce petit ouvrage est un régal, un gai savoir pour l'enfance qui subjugue tout autant l'adulte sensible. Il y a là une problématique à l'amour de la langue, sans emphase, par la jouissance des sons. C'est un petit chef d'œuvre, un délice de livre onomatoplaît.

Rozen, Anna, Le Marchand de bruits, illustrations de Avril François, Nathan, 2002, 32 p., 13€
Cet album qui peut être lu à des enfants de 4 ans ou par des premiers lecteurs. Le texte est particulièrement bien construit et écrit. Le thème central en est la création onomatopéique. Le héros bricoleur de bruits va, sous l'effet de l'engouement des gens pour ses inventions, devenir marchand de bruits. L'autrice crée, mais l'illustrateur n'est pas en reste qui, dans un style qui fait penser à Lionel Koechlin, invente des machines bruiteuses insensées, pour le plus grand bonheur humoristiques des lecteurs. Les deux réunis (texte et image) expliquent que ce livre -à la typographie mimétique des tonalités et hauteurs de voix- pourrait être lu par un lectorat bien plus âgé voire étudié en classes de primaire comme de collège.
A ce thème central de l'onomatopée, s'ajoute, par l'histoire, une critique relative de la société de consommation. En effet, peu à peu l'entreprise va prendre de l'importance et le fils qui succédera à Monsieur Boum n’aura aucun des scrupules du fondateur de la firme Boum. On parlera de concepts et non de bruits, mais les instruments deviendront moins inventifs et les bruits moins suggestifs. L'invention est devenue marque, étiquette sans contenu, pur produit marchand sur le nouveau marché des bruits. Blabladablop ! Proukta ! Le Marchand de bruits est, sans crier gare, un livre de génie.

Frattini, S., Lefèvre, S., Schneider, A., Le Voyage du petit dauphin, Milan, 32 p. + CD, 14€50
Le CD repose sur l'enregistrement d'une mise en scène sonore (œuvre d'Alain Schneider) de ce voyage qui est un récit initiatique d'un jeune dauphin à la découverte de son milieu et des hommes qui y travaillent. Même si il y a une volonté documentaire dans les images, elles restent assez anthropomorphes. Mais c'est pour le CD que l'ouvrage doit être mentionné : cris d'oiseaux, chants des dauphins, des baleines, clapotis des vagues, cris des mouettes… C'est plus de 50 sons naturels qui sont ici, soit enregistrés soit recréés, et il faut bien dire que le livre de cette collection “l'Oreille tendue“ de chez Milan en devient une mine de plaisirs pour l'enfant, une mine d'exploration avec lui pour l'enseignant et les parents.
Philippe Geneste

10/10/2010

De la poésie au récit

David François, Solal Marc, Ma Bien-aimée, éditions Motus, 2006, 44 p., 12€
Un long poème d'amour de François David surimposé à un travail de création photographique de Marc Solal, tente de fixer les fugitives émotions et les errants sentiments de l'amour. Le poème n'est point épique bien que poème d'une quête sans conquête. Les double pages se succèdent dans une alternance entre une composition d'un tiers / deux tiers pour l'une suivie d'une double page reposant sur une composition unique. Nous avons donc un système de composition à trois vues pour quatre pages. Seul un visage (détail d'un visage qui forme chaque tiers de la double page concernée), le premier tiers des pages 1/2, possède une surimposition de texte. Sinon, tout le texte est quête de la bien aimée. A cette composition impaire –trois– correspond, dans le texte un choix de vers impairs. Le rythme est donné, l'impair suscitant la recherche de l'équilibre, une recherche de la musique de l'amour. Difficile de ne pas entendre les vers de Verlaine caressant le noir et blanc de chaque détail de visage : "De la musique avant toute chose, / Et pour cela préfère l'impair (…) Rien de plus cher que la chanson grise / Où l'indécis au décis se joint (…) Car nous voulons la Nuance encor, / Pas la couleur, rien que la nuance !".
Et le paradoxe porté par la composition des photographies (noir et blanc/couleur, gaieté/mélancolie, flou/net, ombre/lumière, photographie/peinture photographique, image unique/image en série) auquel répond le contraste des mots (mollesse/rudesse, partance/arrivance, montagne/crevasse, ciel bleu/lune rouge) mais aussi des contrastes entre les vers et leur image support, parfois, ce procédé, donc, du paradoxe filé installe l'incertain : l'amour n'est qu'incertitude à trouver l'échos de désirs et d'espérances enfouies. Grâce à la légèreté créée par la composition et les vers reposant tous deux sur l'impair, l'être amoureux, si on peut dire, s'imprécise dans l'indécis. Où se situe sa quête ? A l'écart de soi et c'est pour cela que l'amour est découverte de soi dans la découverte de l'autre.
Pour autant, aucune éloquence, aucune lourdeur de sériosité dans le poème parce que les mots empruntent les voies de l'entrechoquement, de l'improviste rapprochement selon l'art des images cher à Reverdy.
De plus, les images en miroir jouent de la réflexivité pour induire une connaissance de l'autre, une définition d'amour. Toutefois, la succession des doubles pages multiplie les approches et installe l'autre comme révélateur du sentiment, écartant, ainsi, toute tentation d'androgynie. Si l'amoureux cherche au gré de ses voyages, de ses souvenirs, de ses expériences présentes, la clé du sentiment qui l'anime, le transforme et le transporte, c'est parce qu'il se crée un univers d'impressions sitôt perdues à peine crues trouvées. Dans ces chemins de "bonne aventure" se déplisse le corps au croisement du déploiement à jamais inconvenant du cœur, sauf pour les êtres retrouvés : "J'ai trouvé ma bien-aimée / à l'entrecroisement des chemins / que font les lignes de la main / en la confiance du matin". Et c'est souvent à la confiance des mots que l'amoureux se livre comme il livre sa quête à la rime immensément féminine.
Sur le rabat de la dernière page le vers "mais je ne l'ai pas trouvée" clôt le roman. La quête amoureuse s'égrène ainsi comme un jeu sans cesse à recommencer, comme la jubilation d'un conte à écouter, comme le désir d'une histoire dont se refuse la fin.

Annie Mas et Philippe Geneste

03/10/2010

Deux nouvelles venues plus une

La Chronique est consacrée à l’annonce de deux nouvelles maisons d’édition
les Braques et Le Chant d’orties



Les éditions des Bracques
Sall Mamadou (adaptation de), La Fourmi et le roi Salomon, illustrations Vincent Farges, éditions Des Braques, 32 p. + dvd / et version audio seule, 21’21, 18€
Un ouvrage remarquable, avec un dévédé qui livre l’histoire en dessin animé, et une version audio lue par l’auteur, Mamadou Sall, conteur Mauritanien. Les illustrations de Farges sont superbes, ouvrent à la rêverie, la narration audio phonique de Sall est directe et emporte l’enfant dans cette réflexion sur l’amour, à partir d’une fourmi qui cherche à déplacer une dune pour retrouver sa bien aimée. Les éditions Braques qui sont de nouvelles venues commencent par un coup de maître.

Les éditions Le Chant d’orties
Maricourt Thierry, Tout au bout de mon jardin, illustrations d’Annie Ruch, Le Chant d’orties, collection Les Coquelicots sauvages, 2010, 24 p., 10€
C’est une histoire tendre et à dimension sociale tout à la fois. Une autoroute va traverser le jardin d’une famille et la petite fille se demande ce que vont devenir les hérissons qui habitent au fond du jardin. Ecrit avec émotion et légèreté par Thierry Maricourt dont le registre de style épouse à la perfection les sentiments enfantins, l’album de beau format est remarquablement illustré par Annie Ruch. Au final on a un très bel album pour les enfants dès 3 ans.

Gutel Michel, Ruptures d’enfances. Rencontres extraordinaires avec des enfants ordinaires, Nouvelles, illustrations Gaëtan Dorémus, Le Chant d’orties, collection Chardons ardents, 2010, 145 p. 12€
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une collection pour la jeunesse, le livre serait offert avec bonheur aux adolescents et adolescentes. Il narre des tranches de vie d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance ou des cités délaissées par les politiques de la ville. Il s’agit de paroles enfantines pris sur le vif puis retravaillés pour créer une fiction documentaire sous la forme de portraits.

Les éditions de l’atelier du poisson soluble
Wiehe Gabrielle, Bestioles, éditions de l'atelier du poisson soluble, 2005, (nombre de pages sans pertinence), 23€
Quel livre magnifique ! C'est, d'abord, un livre d'art de grand format. Les pages sont coupées au centre ce qui permet une infinité de lectures. Richesse des lectures autorisées, donc. Par double page, sinon, le livre ausculte un animal fabuleux à travers les traditions du monde, à travers les mythes, ceux de la création, notamment : richesse culturelle, donc. Et pour chaque animal fabuleux, il y a un essai de synthèse de la raison d'être de son invention par l'imaginaire humain. Evidemment, là, les avis divergeront sur la justesse des synthèses produites, à chaque fois, sous la forme courte et fragmentaires de l'aphorisme plutôt que de l'essai argumentatif. Mais on peut, tout aussi bien, y voir une manière de relire les créatures mythiques, de les sortir des gangues interprétatives, ce que la confection même de l'objet livre incite à faire, presque toujours, ne serait-ce que par inadvertance.
Quant au graphisme, au travail des couleurs et des formes, l'ouvrage offre une telle splendeur que la richesse plastique, à elle seule, est déjà une raison pour conseiller la lecture de ce livre.
Le titre est d'ailleurs éclairé, nous semble-t-il, par cet aspect pictural et de composition graphique : les animaux fabuleux sont ravalés en de vulgaires bestioles ce qui est une manière, non pas de corriger leur importance dans l'histoire des hommes mais d'inviter le lecteur à laisser son imaginaire se manifester sans retenue.
Philippe Geneste