Herbauts Anne, Theferless, Casterman, 2012, 40 p. 16€50
Theferless, c’est le nom de l’hirondelle blessée, soignée par la famille de la « maison étroite et carrée », rouge au milieu de la « forêt dense ». Elle est l’événement survenu au milieu de la routine. Dans ce lieu magique d’où les protagonistes ne sortent pas, le ciel bleu sur la tranche du livre et sur l’illustration est la seule pierre d’attente d’une possible échappée pour les habitants : un enfant, sa mère, la très vieille, le père, la mort, le chat et les poissons…
Theferless, c’est le nom de l’hirondelle blessée, soignée par la famille de la « maison étroite et carrée », rouge au milieu de la « forêt dense ». Elle est l’événement survenu au milieu de la routine. Dans ce lieu magique d’où les protagonistes ne sortent pas, le ciel bleu sur la tranche du livre et sur l’illustration est la seule pierre d’attente d’une possible échappée pour les habitants : un enfant, sa mère, la très vieille, le père, la mort, le chat et les poissons…
Au début, la mort attend à la fenêtre, nulle échappatoire, donc. La très vieille est à l’agonie, son passé déménage. Les poissons sont morts, dans le ventre de Moby Dick, le chat. L’existence du père est indécise, l’enfant « est pâle », il mélange sa respiration à celle des autres et prend vie dans l’illustration. Le langage est ancré sur un phrasé de brièveté qui ne s’en échappe que par les procédés de la juxtaposition et de l’énumération. Deux champs lexicaux sont convoqués pour élargir l’univers de la maison étroite : celui des oiseaux auxquels le livre est dédié et celui des fleurs qui toutes s’ouvrent dans la bouche de la mère quand elle en prononce les noms. Ces deux procédés marquent l’absence de liens, l’absence de relations, ce qui tend à chosifier les mots eux-mêmes.
Dans ce sanctuaire morne, l’hirondelle va introduire la volonté : « Je dois repartir. Je dois retrouver le bleu. De mes ailes, je tracerai l’espace, les voyages, les saisons, le temps, le lointain, l’ailleurs ». Non pas que la vie soit ailleurs, mais elle est là où les ciels sont reliés entre eux, où les bleus se rejoignent.
Dans ce sanctuaire morne, l’hirondelle va introduire la volonté : « Je dois repartir. Je dois retrouver le bleu. De mes ailes, je tracerai l’espace, les voyages, les saisons, le temps, le lointain, l’ailleurs ». Non pas que la vie soit ailleurs, mais elle est là où les ciels sont reliés entre eux, où les bleus se rejoignent.
Alors que symbolise la maison au fond de la forêt ? Peut-être seulement, le drame de l’enfermement des êtres dans la routine, dans les pensées étroites du lieu qui les enclot. C’est pourquoi les habitants en sont aussi les objets : la chaise vide qui attend et qui, attendant, prend toute la place, la cafetière, trois pommes, une poire et le bruit du carrelage « quand l'un d’entre eux se déplace ». Les couleurs sombres, les crayonnages marron et noir griffonnés marquent cet univers de vie blessée, à l’agonie, suffocant.
Peu à peu, le bleu va prendre le dessus, jusqu’à envahir toute la toute dernière double page. Le blanc fournissant jusque là l’essentiel du fond du texte disparaît, comme l’ennui et le vide de vie dévidé par la famille hors du temps. Avec le bleu, le présent reprend ses droits, le temps s’accomplit, le mouvement à tire d’ailes s’impose, contre le figement, la fixité, la chosification, l’inexistence. L’hirondelle s’en est allée, et « En août dans l’été bien mûr, la Très vieille s’est endormie contre la Mort ». Parce que le temps emporte autant qu’il vient, le monde retrouvera les couleurs de la vie. Le bleu en sera le passeur : « quelque chose se passe » aime dire Anne Herbauts de la relation qu’entretiennent le texte et l’image. Le livre refermé, le bleu de la tranche nous regarde, comme pour rappeler au lecteur que les tranches de vie sont des moments d’existence à saisir. Comme ce livre.
Peu à peu, le bleu va prendre le dessus, jusqu’à envahir toute la toute dernière double page. Le blanc fournissant jusque là l’essentiel du fond du texte disparaît, comme l’ennui et le vide de vie dévidé par la famille hors du temps. Avec le bleu, le présent reprend ses droits, le temps s’accomplit, le mouvement à tire d’ailes s’impose, contre le figement, la fixité, la chosification, l’inexistence. L’hirondelle s’en est allée, et « En août dans l’été bien mûr, la Très vieille s’est endormie contre la Mort ». Parce que le temps emporte autant qu’il vient, le monde retrouvera les couleurs de la vie. Le bleu en sera le passeur : « quelque chose se passe » aime dire Anne Herbauts de la relation qu’entretiennent le texte et l’image. Le livre refermé, le bleu de la tranche nous regarde, comme pour rappeler au lecteur que les tranches de vie sont des moments d’existence à saisir. Comme ce livre.
Geneste Philippe