Guillopé Antoine, Loup noir, Casterman, 2014,
32 p. 13€95
Cet album est paru il y a dix
ans. Il appartient au rare secteur jeunesse du roman graphique. Ce qui est
curieux, est que cet auteur, pas plus que les autres créateurs et créatrices de
romans graphiques pour la jeunesse ne se réclame du courant de graveurs –
narrateurs expressionnistes de la première moitié du vingtième siècle. Giacomo
Patri ou Franz Masereel sont inconnus. Et pourtant, on ne peut pas ne pas
penser à cette filiation. Guillopé a travaillé à l’encre de Chine des aplats en noir et blanc
et les structures minutieuses pour figurer notamment les branches dénudées des
arbres. Le sujet est celui de la peur portée par l’enfant perdu au cœur de la
forêt où rôde le loup. Bien évidemment, cette thématique permet à l’enfant
lecteur de tout de suite entrer dans l’histoire ou, plutôt, de créer les
premiers pas du récit sans parole.
Chaque
image, ici, est un tableau narratif. La suite des images construit la narration
d’une intrigue. Le dénouement tient dans la transformation du loup noir en un
loup blanc, surexposé au cliché de la réconciliation. Mais réconciliation non
pas de la bête et de l’animal mais plutôt de l’enfant avec sa peur,
l’acceptation de sa peur par l’enfant. La peur est le moteur de l’aventure,
parce qu’elle introduit l’étrangeté au cœur de l’existence. Le récit graphique
est, par technique, un récit au noir, une entrée dans la peur du noir.
L’agression du loup, l’effondrement de l’arbre qui brise ses branches en mille
éclats nocturnes sur la neige blanche illuminée par une lune d’autant plus
omniprésente qu’elle n’est pas dessinée, évoquent non pas le triomphe de
l’instinct, de l’animalité en nous, mais au contraire l’entrée dans l’humaine
condition de l’enfant qui va devoir s’accepter, accepter sa peur, c’est-à-dire
prendre en compte son émotion comme action qui trace le chemin de sa vie.
Ainsi,
à l’opposé extrême de la littérature de peur dont le ressort est l’adhésion
sans distance à l’émotion donc la fascination, Loup noir invite
l’enfance lectrice à cheminer avec la peur comme sentiment de construction de
la personne, à faire réflexion sur la vie à partir d’elle. C’est ce qui fait de
cet album un album rare, au niveau même de son contenu. N’est-ce pas la marque
des chefs d’œuvre d’art, savoir rendre compte du réel par l’imaginaire. On
pense au dessinateur et scénariste de bande dessinée Comes.
Faut-il
souligner que l’avantage majeur du récit graphique est de solliciter la
relecture ce qui est une manière inépuisable de renouveler son interprétation
et donc une offrande de l’album au jeune lectorat pour construire du sens et en
valoriser l’opération même. A cet aune, l’acte de lecture grandit aux yeux de
l’enfance, en tant qu’il s’arrime au sens.
Conno (Gianni
de), Un
Froid de loup, illustrations d’Ivan Canu,
traduit de l’italien par Faustina Fiore, Casterman, 2014, 32 p. 13€95
Le livre repose sur une
illustration sombre, puissante par ses couleurs voilées, suggestive par le
flouté qui crée la distance entre l’enfant lecteur et l’histoire. C’est une
histoire animalière anthropomorphe.
Tout commence par une thématique
de la prédation mise en question : qui veut exploiter ne peut pas demander
la solidarité car ce serait solidarité pour l’oppression. Mais peu à peu, au
fil de la leçon de morale sociale, le prédateur se trouve vis-à-vis de son
propre prédateur, le loup face à l’homme. Alors commence la seconde thématique,
celle de la domestication du loup en chien.
Deux thématiques s’opposent
donc : la première qui est refus de l’alliance avec les dominants et la
seconde qui loue la domestication comme forme de solidarité sociale. On peut,
aussi, lire différemment la présence des deux thématiques et prendre la seconde
comme illustration de ce que l’acceptation du lien de solidarité avec son
oppresseur entraîne inéluctablement. Alors, on reprend le livre au début, dans
l’irréel des paysages et des animaux. Si la force de l’album renforcée par le
format (24,6x31,8) parle immédiatement à l’enfant, il ne fait pas de doute que
la discussion avec celui-ci sur la thématique de l’histoire serait utile et
motivante, d’ailleurs pour sa relecture
olive Guillaume,
Voilà
le loup !, illustrations de He Zhihong,
Chan Ok, 2014, 26 p. 13€25
Voici un fabliau moral pour
éduquer les enfants. Illustré en suivant les techniques de la peinture
traditionnelle chinoise, l'encre de Chine et des pigments de couleurs sur du
papier de riz blanc, l’album tourne son regard vers la poésie alors que le
texte trame le squelette de l’intrigue : un enfant, berger de son état,
s’aperçoit que les villageois accourent lorsqu’il crie « Voilà le loup » du haut de la montagne
où il garde ses moutons. Lorsque le loup sera vraiment là, l’enfant criera mais
les villageois ne le croiront pas et le troupeau sera décimé.
L’illustratrice procède par un
travail préparatoire tenant compte de la mise en page ce qui explique l’extrême
fluidité des images et l’intégration harmonieuse des personnages. L’album est
une fête pour le regard, une gourmandise pour l’histoire.
Geneste
Philippe