Anachroniques

27/06/2015

Le fantastique au cœur des craintes sanitaires d’hier et d’aujourd’hui

Kat, FALLS, Inhuman,tome1, édition Milan, 2015, 443p.  16,90€
Le roman s’appuie sur une quête où Delanez MC Evoy, surnomée Lane ; recherche son père, Yvan MC Evoy pour lui transmettre un message. Ce dernier contient une mission qu'il doit exécuter en une semaine sous peine de mort. Lane va alors passer de l'autre coté du “mur”. Le “mur”est une immense construction de délimitation bâti lors d'une épidémie du virus ferae naturae afin d’en proteger le pays. Passer de l’autre côté, enfreindre l’interdiction, est passible d’une condamnation à mort. 
Lane va alors rencontrer Everson, garde de la Limite puis Rafe qui va la conduire jusque dans un camp de malades où elle devrait retrouver son père. Mais celui ci est déjà parti. Everson inquiet du temps qui passe, rejoint Lane et ensemble avec Rafe, ils décident d’accomplir eux-mêmes la mission.
Pendant le voyage, lors d'un arrêt, Lane va se faire attaquer par Chorda un fou qui veut manger son cœur. Everson et Rafe vont la sauver mais Chorda réussi à s'échapper. Arrivés à l'adresse de la mission, ils découvrent que la maison a été brûlée. Ils se font alors capturer par la Cour de Chorda, roi de la zone contaminé de Chicago. Lane et Everson s'échappent grâce a la mère d'Everson mais le virus a touché Rafe. Arrivée au camp des gardes de la Limite, Lane découvre que son père est gravement blessé. A la fin du livre, Lane a changé elle est plus mûre et a découvert tout un monde. Cette trame narrative n’est pas sans rappeler celle de REEBOT écrit par Amy Tintera
Au début Lane cherche son père dans un monde dont elle ignore tout; à la fin elle le retrouve. C’est un roman d’apprentissage écrit à la première personne qui concentre, sous le genre d’héroïc fantasy choisi, les craintes sanitaires de notre société. Il évoque le progrès scienifique qui est à la base du virus. L’univers du livre est très futuriste.
En conclusion je dirais que ce livre est destiné à un public préadolescent, qui met en avant l'amitié et l'amour filial.

Moore, Viviane, Le Château Du Diable Rouge, édition jeunesse, éditeur Flammarion,  mars 2015, 183 pages, 5.70 €
C'est une enquête où le héros, Michel, écuyer de sire Raoul de L'Eveillerie, recherche la cause d'un étrange mal meurtrier, appelé « Le Diable Rouge », qui frappe le domaine de Coucy dont le seigneur est mort. C'est un enfant, Enguerrand, qui est devenu le seigneur. Il est affaibli depuis sa naissance ce qui le rend sujet à de violentes crises de haine dont il accuse son jeune frère Raoul.
Le lendemain d'une fête donnée en l'honneur de l'arrivée de Michel et du chevalier, une rumeur se répand selon laquelle Raoul aurait tenté d'assassiner Enguerrand qui se serait débattu et l'aurait blessé. Les deux frères donnent des versions contradictoires de l'événement. Michel ne pouvant avancer plus sur la rumeur d'assassinat sans son maître - parti au village étudier la maladie – va, lui aussi tenter d'éclaircir la question. Pendant son enquête le prévôt d'Enguerrand, soupçonné de le manipuler, prononce une parole qui va le mettre sur une piste. Il demande une poule à son chambrier, va chercher du pain noir et le donne à la poule. Il revient lorsque la poule a fini le pain. Il la trouve morte. Michel prend alors la cage et rejoint son maître dans la salle où se déroule le jugement de Raoul. Celui-ci est condamné à combattre les Maures en Terre sainte.
Mais lorsque le chevalier, Michel et un médecin vont lui rendre visite ils le découvrent rongé par la douleur, se tenant le ventre et se tortillant sur son lit. Après une brève observation le chevalier déclare qu'on l'a empoisonné avec  l'herbe du Diable: c'est une herbe qui provoque des douleurs semblables au Diable Rouge. Le chevalier fait recracher le poison à Raoul mais celui-ci n'est pas guéri. Confiant alors la garde de Raoul à Michel, le chevalier accompagné du médecin part fabriquer l'antidote. A leur retour, et lorsque le blessé est guéri, ils décident de tendre un piège à l'assassin où Raoul sera l'appât. Le chevalier laisse Michel et Raoul seuls et part prévenir Enguerrand que son frère est prêt à partir. Ainsi l'assassin reviendra tuer Raoul, mais le chevalier et des gardes lui sauteront dessus et l'immobiliseront. C'est finalement Enguerrand et le prévôt qui ne tardent pas à se manifester. Le prévôt tente de tuer Michel mais le chevalier le sauve et neutralise le prévôt ce qui permet à Michel de sauver Raoul de son frère.
Lors de son jugement il est décidé qu'Enguerrand et sa mère seront envoyés au château de Marle et jetés aux oubliettes. Quand la question du Diable Rouge est élucidée, Raoul envoie de la farine dans toute sa seigneurie. Quant tout est fini le Sire Raoul de l'Eveilleurie adoube Michel qui part vers d'autres aventures.
Au début du livre, Michel, écuyer, cherche des réponses qu'il découvre au cours du livre. A la fin il a « grandi » et est devenu chevalier.

C'est un livre destiné à un public de plus de 11 ans qui met en avant la différence et le dépassement de soi et condamne le mensonge des dirigeants.

Arnaud Ariane

21/06/2015

Quand le monde s’effrange au-dessus des mots

Cixous, Hélène, Un Vrai jardin, éditions des femmes Antoinette Fouque, 1998 (1ère édition 1971), 43 p. 3€
Lorsqu’Hélène Cixous publie ce texte en 1971, il porte la mention nouvelle poétique. Cette précision est importante, car si la brièveté tend à porter l’ouvrage dans le genre de la nouvelle, le style et la teneur signifiée relèvent plutôt de la poésie. Nous pourrions, aussi, parler de poésie narrative. Qui dit narration dit récit. Un Vrai jardin est écrit à la première personne, un « je » qui livre son expérience du monde. Ceci est vrai, mais ce n’est pas si simple pour autant. En effet, qui est ce « je » ?
Un thème majeur, semble être la dialectique du dedans et du dehors : « Puis la grille se ferma doucement et l’on était dans le jardin. Dehors et assez loin, les gens allaient à la guerre » (p.11). Le jardin clos, c’est le monde à l’abri, le havre de paix par temps de guerre, c’est, peut-être, le for intérieur. Le narrateur est-il le jardin ? On peut le penser, notamment à la fin du récit, mais le doute subsiste puisque qu’on pénètre dans le jardin avec lui dès la première page. S’il n’est pas le jardin, il s’est identifié à lui, il y a creusé son identité, y a perdu son nom, et n’est plus que le narrateur ou le jardin. Que dire de cette quête d’impersonnalité ? Qu’elle est une quête de soi hors des étiquettes dont nous affuble la société, en toute circonstance, par son obsession du classement, du rangement serait plus juste. Il faut que tout soit rangé, ordonné. Un temps, on pense même que le narrateur est un bébé, un rejeton d’humain abandonné là et que le sol a aspiré pour le sauvegarder. Mais, la dernière page tournée, on se dit que non, décidément, ce « je » est la terre même qui parle d’elle, son nombril n’étant qu’un trou d’obus, marque béante de la guerre perpétuelle qui caractérise le mode de vie humain : « de temps à autre une bombe, mais c’était peut-être le rire de la guerre » (p.30). La terre, après tout n’a ni père ni mère, elle est le support de l’humanité et comme dans le récit, tout est vu en contre-plongée, ne faut-il pas se rendre à cette évidence ? Lisons les dernières lignes : « Mais maintenant, je savais que c’était moi le jardin. J’étais le jardin, j’étais dedans (…) et je n’avais pas de nom. Terre, Terre, criai-je » (p.38).
Puisque nous tenons une interprétation possible, autorisons-nous une réflexion. Et si ce texte était allégorique, ne parlerait-il pas, aujourd’hui, de l’état de la Terre pour nous remettre les pieds sur terre ? La vie prend racine dans le sol comme le récit d’Hélène Cixous. La Terre nous dit les blessures qu’on lui imprime, tout en reprenant le vivant achevé, c’est-à-dire en engloutissant dans sa robe d’écorce terrestre les morts. On n’y prend guère garde à cette Terre, et c’est bien la thématique d’Un Vrai Jardin qui invite à réfléchir à l’origine, sans identification singulière, mais plutôt cosmique. Allégoriquement, Un Vrai Jardin décrirait un lieu à soi habité grâce aux mots et à la littérature. Replié, le narrateur n’en continue pas moins à parler pour exister, il se parle, il nous parle, il nous tend sa parole et nous lisons ses pensées sombres. Pourquoi sombres ? Parce qu’elles sont scarifiées par les guerres. Ainsi le ciel, « il y avait longtemps qu’on ne l’appelait plus le ciel parce que d’ici-bas on le voyait se déchirer et s’effranger au-dessus des murs ».
Il reste donc au lecteur à se glisser sans méfiance dans les plis poétiques des mots et s’y enterrer pour que naisse une humanité terrestre conciliée à la Terre.
Philippe Geneste

07/06/2015

Du dernier pas de « l’homme aux semelles de vent » car c’est « la vraie marche ».

Christ Aloïs, Comédie de la soif. Monologue imaginaire d’Arthur Rimbaud depuis Aden, le soir du 8 mai 1891, Bruxelles, éditions de L’Arbre à paroles, 2010, 55 p. 10€

Dans la monographie qu’il a consacrée à Rimbaud, Yves Bonnefoy (1) critique toute tentative de chercher à comprendre Rimbaud en dehors de ses poésies et il précise qu’il ne servirait à rien de chercher à faire parler le silence du poète, cette rupture qu’on peut dater de 1875. Cette rupture est pourtant ce qui a contribué à faire du poète non une légende mais une figure. Aloïs Christ en fait, sinon un héros, au moins un personnage ; il interroge l’interruption de l’écriture poétique pour réincarner Rimbaud, par le théâtre, le soir du 8 mai 1891 à la veille de son retour en France sur l’Amazone en direction du port de Marseille. Depuis fin mars, Rimbaud ne quitte plus le lit, souffrant atrocement du genou (un sarcone –cancer- du genou sera diagnostiqué lors de son hospitalisation le jour même de son arrivée, le 20 mai, à Marseille). Le 8 mai 1891, il se trouve à l’hôpital européen d’Aden, où il est entré le 30 avril après trois semaines de transport sur civière d’Harar à Aden.
Aloïs Christ ne fait aps de Rimbaud un héros, dans le sens où sa Comédie de la soif (…) n’est pas de dévotion, dans le sens où il ne prend pas à la lettre les déclarations des poèmes mais préfère prendre le poète à ces lettres, notes de carnets, comptes rendus et rapports de voyageur, qui forment l’essentiel de son œuvre. C’est ce qui rend la fabulation théâtrale si proche de l’homme, du poète en rupture de ban littéraire. C’est aussi ce qui met Alois Christ dans la filiation de René Char déclarant : « Il faut considérer Rimbaud dans la seule perspective de la poésie. Est-ce si scandaleux ? Son œuvre et sa vie se découvrent d’une cohérence sans égale ».
Le monologue que signe le dramaturge éclaire la période des voyages de commerce et de trafics divers comme on explore une quête. Puisant parcimonieusement avec intelligence et tact dans l’œuvre et dans la correspondance de Rimbaud à ses proches et à ses collaborateurs, le monologue fait entrer dans l’espace mental de l’amputé, fiévreux et révolté, avec ses faiblesses et ses espoirs feints, pour une remontée du temps dans la vie d’un homme. Fidèle au principe dialogique au fondement de toute langue, le monologue est un dialogue intérieur avec des interlocuteurs divers. Il y a Djami, de son vrai nom Djami Oueddeï Djami, le jeune serviteur de vingt ans et amant de Rimbaud travesti longtemps en « fidèle serviteur » par nombre de plumitifs biographes ou commentateurs, et pour qui Rimbaud prit son unique disposition testamentaire (2). Il y a le docteur et le personnel de l’hôpital européen d’Aden ; il y a la mère Rimbaud, qui intervient aussi avec la lecture par le personnage des lettres qu’il a reçu d’elle, il y a Verlaine « une âme de putain (…) Il était fait pour les langueurs de l’administration et l’apathie sereine des dimanches » (p.28). Il y a ses associés Soleillet et Labattut, la veuve de ce dernier. Il y a Ménélik, « roi des fripons et de la palabre » (p.42), qui règne sur le Choa, et avec qui Rimbaud fait commerce de marchandises diverses et d’armes ; il y a son éphémère compagne éthiopienne. Il y a quelques poèmes de l’autre rive de sa vie, « je est un autre »… C’est ainsi toute la vie de Rimbaud qui monte sur les planches le temps d’un monologue.
Aloïs Christ interroge ainsi le passage de l’intelligence des visions contenue dans la lettre du voyant à l’intelligence des relations économiques et humaines portée par les actes de la vie. Il met l’accent à juste titre sur l’acharnement scientifique de Rimbaud pour assurer ce passage, dévorant les volumes de géodésie, de topographie, de minéralogie, réclamant des traités divers de mathématiques, de trigonométrie, de mécanique, des chemins de fer, se passionnant pour des manuels de métier (verrier, tanneur, faïencier, potier, fondeur en tous métaux, armurier, serrurier..), se plongeant dans les dernières théories du moment en matière de physique et de géographie, curieux des sciences de l’ingénierie : « La science, oui, la science guérit de tout » ; « Demain une seule religion le progrès ! Nous y sommes presque… Alors vraiment une aube nouvelle se lèvera sur l’humanité enfin réconciliée. C’est à ça que mon fils œuvrera, c’est tout ce que je veux laisser de mon passage » (p.23) ; « Oublier le présent, luxe avenir pour l’humanerie des machines. Le monde moderne saura s’offrir cette richesse » (p.30).

Par ce monologue théâtral, Aloïs Christ invite à poursuivre « l’œuvre-vie » (l’expression est d’Alain Borer) de Rimbaud en chacun de nous : « chaque signe entendu prolonge l’existence et vous attache au monde » (p.25). La poésie n’est jamais très loin : « Et plus d’histoires, ces simulacres de l’aventure » (p.51) ; « Il n’y a pas de surprise, pas de mystère… le mystère, cette paillasse sur le vide » (p.50). L’errance rimbaldienne s’avère être un échec, soit, dit avec les mots d’Une saison en enfer, « La vie est farce à mener par tous », « C’est le feu qui se relève avec son damné ». Mais c’est aussi une leçon de vie qu’Aloïs Christ tire de la correspondance du poète dont il est, ça ne fait aucun doute, un lecteur passionné : l’existence vaut d’être vécue par sa réinvention continuée, dans tous les domaines de la vie. La rupture ponctue parce qu’elle relance, renouvelle, l’être y fait peau neuve, poursuit sa quête, jusqu’à la mort qui, elle « est une attente qui se précise et que le corps ponctue » (p.21).

Le théâtre a ses lois. Il y faut la richesse de l’écriture sous-tendue par un pouvoir performatif du verbe qui épouse la verve du rythme. C’est dans ce creuset, à deux doigts de la poésie, qu’un texte recueille sa chance d’advenir au théâtre et c’est cette advenue qu’il faut souhaiter à Comédie de la soif. Monologue imaginaire d’Arthur Rimbaud depuis Aden, le soir du 8 mai 1891.
Philippe Geneste
 (1) Yves Bonnefoy, Rimbaud par lui-même, Le Seuil, collection écrivains de toujours, 1970, 189 p.
(2) cf. la lettre d’Isabelle Rimbaud au consul de France à Aden datée du 19 février 1892


La pièce sera jouée par la compagnie Métamorphose le vendredi 19 juin à 20h30 à la salle L’Accordeur 15 route de Paris 33910 St Denis de Pile