Chaine
Sonia, Pichelin Asrien, Raconte à ta façon Le Petit Chaperon
rouge, Père Castor-Flammarion, 2016, 32 p. 10€50 ; Chaine Sonia, Pichelin Asrien, Raconte
à ta façon Les Trois Petits Cochons, Père Castor-Flammarion, 2016,
32 p. 10€50
Les deux livres reposent sur un concept innovant
où des pictogrammes signifient des personnages, des lieux, ou des actions. Un
marque-page comprend la légende des différents pictogrammes, ce qui est une
aide pour l’adulte qui invite l’enfant à se lancer, ensuite, seul dans la
lecture. Par exemple, le ciseau représente le loup, le triangle rouge
représente le petit chaperon.
Mais alors, qu’est-ce que lire ? A
regarder procéder les enfants sur ces deux ouvrages, lire se définit comme un
acte d’interprétation des images et de leurs relations à partir d’une
identification des pictogrammes. Lire revient à mettre en relation, à de combiner
des actions, des lieux et des personnages. Le truchement des pictogrammes
installe la représentation au poste de commande de la lecture de fiction. Un
personnage est une représentation. Quant aux images sur la page, l’enfant les interprète
à sa façon, il s’amuse à raconter. La stylisation géométrique minimale ouvre
l’imaginaire créatif. Et l’enfant, spontanément, touche, suit du doigt,
désigne, montre, parfois stimulé par l’adulte. C’est durant cette période première
de tâtonnement pour la mise en place de l’histoire que l’enfant est le plus
actif.
Chaque conte initial est décomposé en 32
séquences qui sont notifiées au dos du marque page. Le livre comprend donc
autant de pages que de séquences. Bien sûr, destiné à des enfants d’âge de
l’école maternelle, on présuppose l’accompagnement d’un adulte, juste pour
étayer la lecture. La stylisation des pictogrammes oblige l’enfant à faire
entendre sa voix dans la voix traditionnelle du conte. Généralement, l’enfant
connaît le conte. Il sera intéressant, à l’avenir, d’appliquer ce même procéder
d’écriture pictogrammatique d’un conte à des histoires non connues des enfants.
Car, ici, on s’assure la connaissance préalable par l’enfant du conte
classique. La démarche créative s’en trouve moins ouverte, centrée –et c’est
déjà une richesse précieuse– sur la liberté de raconter. Avec un conte inconnu,
on passerait de la liberté dans la modalité du racontage (de la
narration) à la liberté dans la modalité de représentation des événements qui
font l’histoire (diégèse).
Mais interrogeons, encore, notre observation
des enfants racontant un conte avec un tel livre. La signification de
l’histoire ne se révèle que par le discours enfantin. Ce discours se construit
sur la relation des doigts et de l’œil en mouvement avec la page et les
pictogrammes qui y sont figurés. Seule la cohérence de ce discours construit la
signification du livre. L’enfant reprend dans une trame discursive parfois
buissonnière la trace des contes anciens lus ou racontés par l’adulte. En même
temps, il découvre d’autres savoirs parce que d’autres événements lui viennent
à l’esprit, suggérés par l’interprétation en cours. La lecture s’élargit, alors
par l’accomplissement de l’interprétation donnée qui s’avère être une
interprétation recherchée. Et l’enfant trouve une satisfaction dans cet acte de
sensification, terme de J.P. Lepri qui signifie la mise en sens du texte, ici
de l’album. L’enfant ne répète pas l’histoire entendue, il la re-produit, la
ré-invente si on veut. Par cette action de lecture, l’enfant affermit le mécanisme
de la lecture qui, nous le voyons, exige et le sens à trouver et la cohérence
du sens à suivre. Il devient ainsi malaisé pour l’enfant de discourir, de
raconter, se raconter l’histoire, sans mettre en relation toutes les pages ;
Ce qui exige ce lien, c’est le discours qu’il tient, qu’il se tient.
Contrairement aux albums ancrés sur
l’illustration fictionnelle ou réaliste, ici, plus que l’œil qui observe, c’est
l’imagination qui invente. L’imagination est suscitée, elle n’est pas
sollicitée. Elle construit le sens.
Philippe
Geneste