Olivier Ka, Janis
est folle, édition Rouergue, collection Doado Noir, septembre 2015,
264 pages, 14€.
Titouan a quinze ans. Il est le
narrateur du roman. Janis, sa mère, a le double de son âge, plus deux ans. Comme
la chanteuse de blues dont elle porte le prénom, elle défie les précipices,
sociaux et mentaux, refuse les dictats et principes de la bourgeoisie, et tous
les compromis.
Elle raconte à Titouan, lors d’une
pause de leur errance, qu’il existe une tribu amérindienne où les biens
terrestres sont refusés, où la moindre possession est reléguée comme punition à
l’être coupable de convoitise, qui est, ainsi, sous l’entrave de cette charge,
empêché d’avancer. Cette tribu se nomme la tribu des « hommes-oiseaux », ceux qui refusent
toute contrainte matérielle. Janis est pareille, c’est une « femme-oiseau ». Elle ne possède
rien qu’une vieille voiture, qui lui sert de nid, et qui lui permet de s’enfuir
après une déception amoureuse, des relations éphémères et trompeuses, des
travaux toujours temporaires.
Si Titouan a parfois assez de
cette marginalité où il ne peut construire de relation sociale d’amitié ou d’amour,
il devient de plus en plus fervent du monde que Janis a créé, « cet univers qui ressemble à la réalité, mais
avec une vibration en plus ». Il fait sien le dégoût de sa mère pour l’hypocrisie
bourgeoise, pour cette société qui écrase les êtres dans des rôles convenus, qui
comme le lui a appris Janis, n’offre que des cadeaux empoisonnés, avec intérêt
et capital. Il fait sienne la rupture avec les tableaux confortables et figés
que dépeignent les attaches et conventions sociales ainsi
que nombre de familles bourgeoises, dans leur confort financier tout autant que
mental.
A Titouan, on dit que Janis est bizarre,
inquiétante, qu’elle « fait flipper »,
alors qu’il la sait si sensible, « égarée,
en souffrance, pleine de douleurs ! et c’est cela qui la blesse,
justement, ces regards apeurés portés sur elle ! ». Titouan, qui
nous fait part de son désarroi face à la souffrance de sa mère, cherche, pour
la comprendre et l’aider, à en connaître la source, le secret. Janis lui a depuis
toujours caché l’existence de ses géniteurs et jamais parlé de son enfance. C’est
au sein de sa famille d’origine, avec un père monstrueux, que l’horreur enfouie
va être révélée…Paraphrasant la célèbre phrase de Simone de Beauvoir, nous
pouvons écrire : « on ne nait
pas fou, ou folle, on le devient ». La maison d’édition Rouergue
publie ici un roman sans mièvrerie, sans faux-semblants. Un roman à la belle écriture,
magnifique, à proposer dans tous les C.D.I des collèges et lycées.
Olivier Bourdeaut, En
attendant Bojangles, édition Finitude, 2016, 159 pages, 15,50 euros ;
Du narrateur de cette histoire,
un petit garçon (on le sait parce qu’il va quelque fois à l’école), on ne connaît
pas le prénom, ni celui de sa mère, ou plutôt, celui-ci change chaque jour, au
gré de la fantaisie de son père, George… Lui d’ailleurs s’appelle-t-il vraiment
George, prénom qui suit le jour de Valentin, prénom de la fête des amoureux, le
14 février, fête que les parents de notre narrateur, du petit garçon donc, ne
célèbrent jamais, préférant le jour suivant, la saint George, pour fêter leur
amour.
Sous les yeux
éblouis de son enfant, la jeune femme efface, avec élégance, tous les tracas du
quotidien, les blessures et roueries de l’école ; elle se joue des
embourbements du quotidien. Elle a la grâce de l’oiseau, la magie d’une fée, la
fantaisie qui permet au petit garçon de grandir, de s’épanouir dans un monde
imaginaire, où il lui est seulement demandé de transformer des expériences
rébarbatives ou contraignantes en histoires captivantes.
L’enfant n’est jamais exclu par
ce couple amoureux et fusionnel que forment ses parents, ce couple de danseurs
jamais alourdi, jamais enlisé ni stressé… Jusqu’au moment où les menaces des mauvais
augures prennent forme et viennent blesser la merveilleuse maman, déchirant le
voile que le bonheur de l’amour et de la maternité ont tissé, enveloppant,
protégeant sa raison fragile. Elle va commettre un acte irrémédiable, asocial On
dit alors au père et à l’enfant effarés, que pour la protéger d’elle-même et
pour protéger la société, il faut l’interner. De vilains mots sont lâchés :
schizophrénie, paranoïa, bi-polarité pour qualifier, épingler cette jeune
femme, elle dont l’aura se joue de toute étiquette.
Mais c’est ignorer les ressources
de l’imagination ingénieuse du père et de la mère qui, pour leur enfant, vont
transformer la réalité de l’internement, de la folie et de la mort, en équipée
farfelue, dont la destination a la beauté du rêve d’un château en Espagne.
Livre magique, que subliment la poésie et la grâce, pour les
adolescents, garçons et filles et aussi pour les adultes, et pour celles que l’on
fête le dernier dimanche de mai, celles qui, les mains en offrande, les bras en
corbeille, accueillent, comme l’on écoute un livre, le petit, la petite, même
si tant grandi, beaucoup, bellement grandie.
Annie Mas