Anachroniques

31/12/2017

Du livre

Agard John, Je m’appelle Livre et je vais vous raconter mon histoire, illustrations par Neil Packer, Nathan, 2015, 143 p. 13€90
L’écrivain et poète John Agard se met dans la peau d’un livre qui raconte son histoire. On pourrait résumer l’ouvrage aux illustrations en noir et blanc stylisées sous la forme d’une devinette : Qu’est-ce qui, en son commencement, fut minéral ? Qu’est-ce qui devint végétal ? Puis se transforma en animal ? Et qui, aujourd’hui est digital ?
Réponse : le livre, bien sûr qui eut pour support l’argile,  puis le papyrus (byblos) avant de se trouver sur du parchemin et qui, aujourd’hui, est transporté sur liseuses numériques et e.book.
Autre devinette : qu’est-ce qui a commencée tablette et qui retourne aujourd’hui à la tablette, sous nouvelle forme ?
Le livre d’Agard entre dans le détail de la tablette (d’argile, heureuse coïncidence des mots), du rouleau, du codex, de l’imprimerie et de la rotative. Agard conte aussi les grandes étapes de l’écriture cunéiforme, hiéroglyphique, alphabétique.
Le poète et l’illustratrice content les mésaventures, les épreuves du feu  qui commencèrent en Chine, se poursuivirent avec les bûchers du Moyen âge, les codex mayas brûlés au XVIème siècle, les bûchers nazis du XXème siècle, la bibliothèque de Bagdad ravagée par les flammes en 1991, celle de Sarajevo en 1992…
C’est un livre qu’on feuillette, qu’on bouquine (clin d’œil à l’écorce du hêtre (boc en ancien anglais devenu book et bouquin) feuille à feuille (de palmier en Inde, de mûrier au Japon, de bananier aux Philippines, de papier longtemps et encore.
Ce livre est un chef d’œuvre tout autant qu’un beau livre.

Smith Lane, C’est un livre, Gallimard jeunesse, 2011, 40 p. 11€
Cet auteur-illustrateur américain use d’un trait naïf humoristique pour faire l’apologie du livre. La composition repose sur le dialogue entre un âne et un singe. L’âne utilise l’ordinateur, et interroge le singe qui lit un livre. De cette confrontation, apparaît d’abord la multiplicité des usages de l’ordinateur auxquels le livre ne donne pas accès mais dont il est aussi affranchi (code ‘accès, pseudo identifiant etc.). Peu à peu, l’âne se prend à l’histoire du livre, c’est celle de l’Île au trésor. On regrettera, peut-être que l’âne soit mis en position ridicule, stéréotypie bien mal venue pour cet animal. On s’interrogera, sûrement, sur le rapprochement, lui aussi stéréotypé, du singe et de l’homme. En revanche, l’historiette engage de riches débats avec les petits certes mais aussi avec les plus grands. Chaque mot est chargé d’humour et d’interrogations essentielles ; chaque trait, chaque détail de l’illustration porte la même charge de riches questionnements. Cet album est une contribution de la littérature de jeunesse en faveur du livre de papier ; c’est un manifeste pour une culture du temps, une culture qui mette de la distance avec l’agitation induite par l’usage des nouveaux médias et nouvelles technologies de l’information. C’est un livre contre la culture du clic ; un clin d’œil à une définition du récit comme réalité de durée et de chronologie imaginaires. L’imaginaire contre le virtuel, en quelque sorte.

Smith, Lane, C’est un petit livre, Gallimard jeunesse, 2012, 20 p. 6€
Voici un nouveau manifeste pour le livre imprimé à destination, cette fois, des plus petits. On part du Qu’est-ce que c’est que… ? pour aller à Ca fait quoi ? Ca sert à quoi ? Et la réponse est au bout du livre, « c’est un livre ».

Philippe Geneste

23/12/2017

Livres en cadeaux

Jolivet Joelle, Gauguin, coloriage, réunion des musées nationaux Grand Palais, 2017, 18x22 cm, 2 grandes frises à colorier, 9€90
Deux frises sont proposées aux enfants de 6 à 9 ans. Elles représentent l’une des scènes de Bretagne et l’autre des scènes de Tahiti, reproduisant sous l’aspect de gravures sur linoléum, des compositions de Paul Gauguin. Joelle Jolivet trace ainsi une magnifique trame dessinée dans laquelle il est demandé à l’enfant de poser des couleurs. L’enfant va alors se plonger, par l’action de colorier même dans l’univers de Gauguin. Quelle meilleure introduction pourrait-on espérer que celle-ci ? Et quelle idée active de cadeau pour les enfants de cette tranche d’âge !

Fort Paul, Le Bonheur est dans le pré, mise en volume du livre sous forme de dioramas par Marie-Hélène Taisne, Flammarion jeunesse, 2017, 16 p. 16€50
La mise en volume donne vie à chaque strophe de la ballade sous forme d’un diorama c’est-à-dire d’une page qui s’anime en relief. Ce travail donne toute la teneur à ce poème fort connu de Paul Fort. Il fait parti d’un des volumes de ses ballades, occasion d’une poésie en prose parfaitement assonancée et rythmée, qui recherche l’harmonie dans le jeu verbal. La poésie se fait désengagement des préoccupations quotidiennes du réel : le poème est écrit en 1917, année des massacres de masse et des résistances naissantes à la guerre voulue par les gouvernements et ceux de l’arrière. Fort s’approche d’un lyrisme populaire ; on est très proche, ici, de la chanson. Invitant à la joie de vivre, il vante l’instant Cette poésie fantaisiste révèle un appétit de vivre pour saisir le bonheur dans l’éphémère.

Latrille Sylvie, Gueille Ferraille et Rampono, illustrations d’Annie Bouthémy, s’éditions, collection Livres pour les enfants dans la lune,
Avec un titre pareil, nous partons pour le moyen âge, suivre, sous la forme d’une épopée, les aventures fragmentaires, drolatiques et dramatiques, d’une princesse, d’une Majesté, d’un prince, de croquemitaines, de chevaliers, et de bien d’autres créatures aux étranges noms, noms à consonances de fantaisie.
Les poèmes sont écrits en vers, et des dessins à l’encre, magnifiques, aspirent les imaginaires sans déformer le texte, sans le suivre pleinement non plus. En effet, cet ouvrage de poésie épique de fantaisie et un petit chef d’œuvre d’équilibre.
Le texte parie sur la saveur du langage, sur l’art éprouvé des harmonies vocaliques, des rimes, des jeux consonantiques, et sur une si belle maîtrise de la coupure des vers. Le texte est le fruit d’une connaissance joyeuse de la rhétorique qui embarque l’enfant lecteur, l’enfant lectrice, dans le maelstrom d’aventures sensationnelles. L’intertextualité est très riche : Alice au pays des Merveilles, La Belle au bois dormant, des contes des frères Grimm s’immiscent dans la teneur des poèmes par échos. Par ailleurs, comme toujours chez Sylvie Latrille, le paysage imprime une présence poétique qui rend cette poésie sensitive. Relire les trois premiers poèmes est un régal.
Le soin apporté à l’édition, le format carré, clin d’œil probable à la peinture comme si l’auteur rappelait, par ce choix, son goût pour une forme de poésie picturale qu’elle égrène, année après année, au fil du courage de s’éditions.

DLeander Brigitta, Maldonado Emma, Hartog Guitté, Raconte-moi le codex d’Otlazpan / Cuéntameel cόdice de Otlazpan, L’Harmattan, collection contes des 4 vents, 2016, 40 p. 10€
Voici un album exceptionnellement intéressant. Ce n’est pas à proprement parler un conte, malgré la collection où il prend place, mais bien un document en langue nahuatl sur la civilisation aztèque. L’ouvrage présente le codex composé de pictogrammes ou glyphes, système d’écriture utilisé au Mexique lors de l’arrivée des espagnols, il y a plus de 500 ans. Peu de ces codex qui racontent la vie quotidienne de la ville et des gens ont subsisté aux destructions coloniales. L’introduction précise que « les livres anciens comme le codex d’Otlazpan transmettent des connaissances aux enfants. Ils sont comme des clés de sagesse ». Otlazpan se situe à 75 kilomètres de Mexico. Le codex raconte l’organisation administrative, économique, sociale et culturelle. Les autrices explicitent l’organisation de l’écriture glyphique. Ils s’attachent avec moult schémas et illustrations savamment disposés à décrire les relations hiérarchiques sur lesquelles reposaient la société aztèque et la vie de la cité. Elles montrent aussi comment les espagnols ont exploité la population indigène de la région d’Otlazpan. Deux pages, enfin, les pages 38 et 39, reproduisent des facsimilés du codex d’Otlazpan avec, sous les glyphes, leur interprétation et traduction en espagnol de l’époque.
Si le livre est offert à un jeune enfant, il faudra le lire avec lui, mais l’album peut être tout aussi bien lu avec profit par des enfants de 10 à 16 ans.

Le Monde en cartes 3D, Nathan, 2017, 160 p., 19€90
Terre primitive, un merveilleux chapitre ; Amérique du Nord ; Amérique du Sud ; Afrique ; Europe ; Asie ; Australasie et Océanie ; Régions polaires ; Les océans : telles sont les sections de ce livre de grand format tout en cartes et tout en couleurs avec de multiples repérages encyclopédiques. Nul doute que le documentaire pour enfants est un art éditorial du légendage tout autant qu’un art de la clarté de l’exposition. Neuf pages de références permettent au lectorat de se diriger dans le livre grâce à l’index et offre la liste des drapeaux des pays du monde. Un livre à offrir pour les fêtes, sans aucun doute.

Lafon Martine, Les Animaux de la Mythologie, illustré par Fred Sochard, Flammarion jeunesse, 2017, 96 p. 15€
Ce livre grand format, étroit (201x340mm) présente 26 animaux liés à des histoires de la mythologie grecque. Les animaux ont accompagné les dieux dans les histoires humaines cherchant à pénétrer les secrets de l’existence et du monde, ils sont eux-mêmes la forme d’une métamorphose de dieux ou d’humains frappés de bannissement. Féroces, maléfiques, libérateurs ou enfermés dans leur animalité, voici l’aigle, le bélier, la biche, le centaure, le cerbère, le cheval, la chèvre, le chien, la chouette, le dauphin, le dragon, l’empusa, la génisse, le griffon, l’hydre, le lion, le loup, la méduse, le minotaure, l’ourse, le paon, Pégase, le serpent, la sirène, le sphinx, le taureau. L’enfant lecteur va ainsi traverser la mythologie grecque tout en identifiant le rôle de tel ou tel animal de légende. Martine Lafon mélange la présentation documentaire avec le racontage d’histoire et c’est tout l’intérêt de l’ouvrage. Les illustrations stylisées de Sochard travaillent la distance à mettre par l’enfant avec ces histoires fabuleuses. Un très beau livre, bien composé, pour un beau cadeau.
Philippe Geneste

17/12/2017

Créations et documentations, aux confins du rêve, la réalité

L’Homme Eric, La Patience du héron, illustrations Lorène Bihorel, Gallimard jeunesse, 2017, 48 p. 15€90
Voici un magnifique album, une création éditoriale qui met en valeur le travail de l’illustratrice, artiste singulière qui procède par du dessin sur sable réalisé sur une table lumineuse. L’éphémérité de son travail se mue, ici, en pérennité de l’illustration d’un texte sensible d’Erik L’Homme. C’est une histoire d’amour, un récit initiatique, un éloge de la patience comprise comme persévérance. C’est l’éloge de la vie contre l’existence c’est-à-dire du sens que l’on donne à sa vie. Les illustrations étonnent et donnent un aspect précieux à l’album que la couverture en papier teinté, embossée et imprimée au fer confirme. Les tableaux sur sable de Lorène Bihorel impressionnent par leur précision. Leur aspect de couleurs nuées suggèrent du mystère jouant de l’ombre et de la lumière, de l’assombri et du lumineux.

Houplain Cyril, Fourmi, Milan, 2017, 80 p. 22€
Ce premier album pour la jeunesse de Cyril Houplain est une création unique. L’auteur se joue du récit historique et du récit de voyage pour les fondre en un récit animalier où les figures de bêtes sont le matériau formel qui porte le contenu même de l’histoire et de l’intrigue. La fin du XIXème siècle voit fleurir les expositions universelles, les grandes migrations européennes vers le nouveau monde. C’est ce que fera Alistair Burke, un drôle de héros qui va se découvrir un don pour dresser les fourmis… Toutes les illustrations du livre sont tracées avec la silhouette reproduite infiniment de la fourmi : mer, bateaux, ports, pluie, villes, oiseaux, diligences, apaches, attelages de chevaux, rochers, végétation, chapeau, gants, cartes, saloon, et fourmis, bien sûr…
On part donc de l’Angleterre victorienne pour aller à New York, traverser les plaines américaines, faire halte à Chicago. De miséreux Alistair va devenir une célébrité dont la réputation traverse l’océan. Le dresseur de fourmis est adulé, il excite la curiosité, comme il rend frénétique le geste du dessinateur. Les fourmis forment le langage d’Alistair Burke, elles l’accompagneront, partout, gèreront leur colonie quand Alistair les oubliera noyé dans sa gloire avant de se repentir. En ces semaines de fêtes approchant, Fourmi est un livre cadeau, un beau livre, un livre d’artiste.

Fabre Jean-Henri, Bestioles. Bousier glouton, mante religieuse assassine, fourmi ravisseuse et autres souvenirs entomologiques…, illustrations Sylvie Bessard, Milan, 2017, 80 p. 19€90
Jean-Henri Fabre (1823-1915) est un inimitable observateur d’insectes dont l’œuvre publiée de 1879 à 1907 compte dix volumes sous le titre Souvenirs entomologiques. Longtemps, Jean-Henri Fabre fut aussi sollicité pour l’édition d’ouvrages en direction des écoles. Son succès, il le dut à une parfaite maîtrise de la narration qui tend à faire de chaque observation un récit. Mais peut-être ne connaît-on pas toujours mieux ce qu’on sait raconter car la science exige d’autres confrontations. Pris au piège de son talent littéraire, en quelque sorte, Jean-Henri Fabre passa à côté de la théorie de l’évolution comme des théories nouvelles en microbiologie de Pasteur. Dans ses écrits, il s’avère un conservateur, prône l’existence d’un incompréhensible que la science ne peut combattre.
Ceci rappelé (1), revenons à l’ouvrage de grand format composé par les éditions Milan. Il est issu de Scènes de la vie des insectes, lui-même étant un recueil de pages choisies dans l’œuvre de J.H. Fabre par les éditions Nelson en 1946 ou plutôt, le choix de Sylvie Bessard croise le choix de cette édition. Les textes, tous référencés et renvoyant aux Souvenirs entomologiques, ont été allégés, adaptés, donc, pour mieux correspondre au public auquel ils s’adressent : les 8/11 ans. Ce travail d’adaptation par Sylvie Bessard est intelligemment réalisé. Magnifiquement illustré, à la manière naturaliste mais avec une touche très singulière de l’illustratrice, le livre ainsi constitué rend accessible au jeune lectorat une petite partie de l’œuvre pédagogique de Fabre.
Fabre écrit sobrement, mais avec une empathie pour les insectes qu’il décrit dans leurs comportements et leurs mœurs. Pour ce faire, il montait des dispositifs ingénieux. Chaque observation est un univers de connaissances particulières mis en valeur par le style imagé et poétique, la vivacité des descriptions et la précision des scènes dont il est rendu compte. L’enfant va ainsi découvrir la vie du scarabée sacré, du parasite (un diptère), des fourmis rousses, de la mante religieuse, de la processionnaire du pin, du papillon puis du grand-paon, de l’épeire fasciée, de la lycose de Narbonne.
 (1) Voir l’excellent ouvrage de Patrick Tort, Fabre, le miroir aux insectes, éditions Vuibert-Adapt, 2005, 350 p.

Salvaje Pablo, Âme animale, Nathan, 2017, 72 p. 19€90
Salvage est un graveur espagnol. Son œuvre est exceptionnelle par la facture plastique et en ce qu’elle sert un propos socio-écologique. On peut regretter le détour philosophique qui transparaît dans le titre de l’album l’auteur appelle « âme » « le souffle de la vie qui rend chaque être unique ». Pour autant l’auteur rappelle que les animaux comme tous les êtres vivants sont formés de molécules et de cellules. Ce qui intéresse l’auteur c’est de montrer les comportements inouïs de certains animaux. Quand il s’intéresse à l’amour, Salvaje retombe dans le travers d’un discours ambigu : l’amour est « l’expression de notre âme animale. Sans âme nous ne ressentirions pas d’amour, et sans amour, nous ne serions pas ici ». Quelle ambiguïté ! S’il s’agit de dire que l’amour est un sentiment lié à la sélection liée au sexe comme le démontre Darwin, très bien. Mais est-ce vraiment cela ? On peut le penser puisque Salvaje écrit : « L’amour n’est pas seulement une question d’instinct » ; en revanche contrairement à ce qu’écrit l’artiste, il n’est pas « la clé de l’évolution de tous les êtres vivants », mais une des clés. Pourquoi employer le terme d’âme, ici, qui peut amener les jeunes esprits à perpétuer des préjugés religieux ? Dans le chapitre Trésors, l’anthropocentrisme est introduit par l’usage de « l’âme » et du verbe « aimer », détruisant la justesse du reste du propos. Le chapitre Métamorphose excellent fait un usage douteux, dans le paragraphe qui le clôt, du terme « identité » : « la transformation physique, même si elle nous change d’apparence, respecte toujours notre identité ».
Heureusement, de nombreux autres chapitres (Rythme, Survie, Eau, Habitat) convainquent. L’auteur y délaisse un discours aux relents religieux, pour amener les jeunes lecteurs et jeunes lectrices à savoir regarder avec empathie la nature et les animaux. Il y montre la filiation animale de l’homme et son propos qui vise au respect de la nature s’ancre alors dans un discours naturaliste auquel il est dommage que l’ouvrage ne se soit pas tenu pour affirmer avec rigueur ce que l’œuvre graphique magnifiée par la mise en page donne à voir de la vie sur terre comme unité du vivant, et rapport des êtres vivants au cosmos qui les englobe.
Philippe Geneste

09/12/2017

Dés-espoirs d’enfants

Ferrante Elena, La plage dans la nuit, illustrations de CERRI Mara, éditions Gallimard Jeunesse, 42 pages, 2017, 13 euros.
Il était une fois une petite fille qui ne pouvait pas s’endormir avant qu’on ne lui lise et relise un conte, une histoire captivante pleine de phrases mystérieuses et de dessins merveilleux ; elle ne pouvait pas s’endormir avant cette lecture tant, pour elle, la venue de la nuit était lourde de menaces d’abandon.
Le premier roman pour enfants, La plage dans la nuit, d’Elena Ferrante, invite à ces heures privilégiées et tendres entre petits et grands. C’est un album bien épais pour des mains d’enfants qui offre la promesse d’un long moment de lecture. C’est une histoire tissée de poésie, qu’épousent les dessins de pure beauté, parfois inquiétants, parfois menaçants, mais de tendresse et de douceur aussi, de Mara Cerri. Ces illustrations suivent fidèlement le texte, et cette histoire peu banale, car racontée par une poupée, nommée Célina, qui est le jouet préféré d’une petite fille de cinq ans, nommée Mati.
La scène se passe sur une plage, lors de la visite de fin de semaine du père de Mati qui lui offre un petit chat. L’enfant se consacre au chaton qu’elle appelle Minou. Célina se sent alors délaissée des jeux et surtout de l’affection de la fillette. Elle se sent exclue, puis oubliée, abandonnée lorsque toute la famille quitte la plage, la laissant à demi ensevelie dans le sable.
Puis au fur et mesure que l’obscurité de la nuit efface les lumières du jour, c’est l’effroi qui prend le pas : peur des ténèbres, de la mer devenue dangereuse, angoisse devant l’être humain qui n’est plus une figure amie mais un être menaçant, comme le Cruel Plagiste et son Grand Râteau. Sous prétexte de nettoyer la plage, celui-ci enlève à la poupée tous les mots que Mati lui avaient confiés et qui lui donnaient comme une âme de vie, un aura d’humanité. Il va lui arracher jusqu’à son prénom, Célina, et jusqu’au mot qu’elle chérit entre tous, parce que c’est ainsi qu’elle désigne Mati : «  maman ».
Mais la poupée va être sauvée par le chaton qu’elle jalousait, Minou. Elle retrouve, au creux des câlins de Mati, la tendresse qu’elle croyait perdue. Elle retrouve ainsi tous les mots qu’on lui avait arrachés, elle retrouve son prénom, Célina, et le mot de « maman », elle retrouve son identité. Chaque chose retrouve sa place, les terreurs sont effacées.
C’est la fin de l’histoire, le livre est refermé. L’enfant peut s’endormir sans crainte, jusqu’à, s’il le désire, à son prochain coucher, une lecture recommencée.
Annie Mas
Coutard Victor, Un Arbre pour ami, illustrations de Pooya Abbasian, Gallimard jeunesse-Giboulées, 2017, 64 p. 18€
Le début de l’album est très prometteur : un enfant fait vivre un arbre, lui parle, le câline. Il pense à l’arbre, donc il parle à l’arbre, car parler c’est agir et les mots participent des choses. Et puis l’auteur décide de quitter ce fil directeur pour accélérer le rythme de la lecture par la multiplication de péripéties qui sont des rencontres de tout ce qui, l’arbre devenu adulte, relève des habitants qu’abrite l’arbre. De l’univers enfantin, on passe ainsi, à un album qui traite de la solitude de l’enfant. Les illustrations, intelligemment, changent de tonalité pour signifier ou en tout cas accompagner cette rupture de choix narratif. La nature est alors magnifiée en tant qu’elle permet à l’enfant de se trouver et de s’ouvrir, les deux allant de pair. Même si on peut regretter la volteface de l’auteur dans son choix narratif, Un Arbre pour ami … est un bel album de grand format.
Bickford-Smith Coralie, Le Renard et l’étoile, traduction de l’anglais par Marie Ollier, Gallimard jeunesse, 2017, 64 p. 15€
Chaque personne recherche son étoile, c’est-à-dire, au fond le sens qu’elle donne à sa vie. Mais cette étoile est-elle en soi-même ou bien provient-elle des circonstances, des cheminements, des aléas des pérégrinations ? L’album allégorique de la graphiste britannique s’ancre dans ce thème par un récit animalier qui chante la nature, joue du jour et de la nuit, magnifie la lumière sans négliger d’interroger le sombre et l’obscur. Il en sort une histoire d’amitié entre un renard et une étoile qui lui ouvre les sentiers de son devenir. Savoir rendre les nuits éblouissantes, c’est sortir des peurs quotidiennes, c’est savoir construire son rapport au monde et c’est se construire dans ce rapport. Animé par un graphisme pointilleux, un art des traits soutenu, un foisonnement des détails pris dans les rets de la figure de la répétition, l’album émerveille : c’est la beauté du voir pour entraîner un comprendre au-delà du littéral délivré.

Philippe Geneste

03/12/2017

La jeune fille et son double meurtri

CLARKE, Cat, Perdue et retrouvée, Paris, Editions Robert Laffont, collection R, 2015, 406 p., ISBN : 9782221145098, Prix : 17,90 euros.

            Le résumé de l'histoire :

            Faith Logan est une adolescente qui a toujours vécu dans une famille déchirée par un drame : alors qu'elle n'était âgée que de six ans, la grande sœur de Faith, Laurel Logan, a été kidnappée. Très inquiets, les parents de Faith se sont rapprochés des médias pour faire parler de leur fille et supplier que le ravisseur la leur rende. Durant treize ans, la petite Laurel Logan est recherchée en vain. Durant ces longues années, Faith vit un peu dans l'ombre de sa sœur. Ses parents se séparent. Faith vit du lundi au vendredi dans la nouvelle maison de sa mère et les fins de semaines dans l'appartement de son père qui a refait sa vie avec Michel, que Faith apprécie beaucoup. Sa maman donne de nombreuses interviews pour retrouver Laurel. Son papa souffre également beaucoup mais se méfie davantage des journalistes.
            Au lycée, Faith est amie avec Martha et a un petit copain : Thomas. Mais un matin, tout bascule : une jeune femme de dix-neuf ans est retrouvée dans le jardin de l'ancienne maison de ses parents et a avec elle le nounours avec lequel Laurel a été enlevée, qui se prénomme Barnaby. Il s'agit bien d'elle ! Les parents de Faith sont fous de joie de retrouver enfin leur fille aînée. Faith l'est aussi mais se demande comment va s'organiser leur nouvelle vie de famille. Elle s'inquiète cependant pour rien puisque Laurel accepte le nouveau mode de vie de ses parents, elle est très heureuse de retrouver sa sœur. Mais elle est traumatisée car durant toutes ces années, elle a grandi en captivité et a été violée par son ravisseur. Elle donne un portrait robot de lui à la police mais fait une crise de panique lorsqu'on lui demande de passer un test ADN. Ses parents la protègent des pressions policières : Laurel est trop fragile et a besoin de temps pour se reconstruire. Faith l'aide à s'intégrer en lui présentant ses amis. Elle accepte de passer sans cesse au second plan. En effet, Laurel, qui est une enfant adoptée, est une magnifique fille en plus d'être la chouchoute des médias. Elle ne cesse d'être interviewée, il y a même un projet de livre sur sa vie. Elle est un peu une sorte de star locale.
            Faith est tellement auprès de sa grande sœur qu'elle en délaisse un peu ses amis et notamment Thomas, son petit copain. Elle doute en fait de ses sentiments pour lui, même si lui semble très amoureux d'elle. Lors de la soirée d'anniversaire de Thomas, Faith apprend par la tante de ce dernier qu'il était autrefois obsédé par l'histoire de Laurel, par son kidnapping… Il lisait chaque article sur elle. Faith le prend très mal car lors de leur première discussion, Thomas avait certifié qu'il ne savait pas qui était Laurel. Alors qu'elle le cherche pour avoir une explication, elle surprend Laurel et Thomas en train de s'embrasser. Elle part, le cœur brisé.
            Pourtant, le lendemain, elle décide d'avoir une explication avec Laurel. Elle va dans sa chambre pour lui parler mais Laurel est en train de faire sa valise. Faith pense d'abord que sa sœur veut fuguer à cause de ce qui s'est passé avec Thomas. Mais Laurel finit par lui avouer... qu'elle n'est pas Laurel Logan ! Elle se nomme en fait Sarah Braithwaite, surnommée Sadie. Elle a en réalité 23 ans.
            Elle emmène Faith, qui hésite à faire confiance à cette étrangère face à elle, jusqu'à la sordide maison où elle a été enfermée durant toutes ces années. Il s'agit d'une maison laissée à l'abandon et éloignée de la ville. Sadie a été la première enfant à avoir été kidnappée par le ravisseur avant qu'il n'enlève Laurel aussi. Elles s'entendaient comme des sœurs et Laurel lui parlait beaucoup de ses parents, de Faith… En plus de lui ressembler physiquement, elle connaît très bien la vie de Laurel et a donc pu assez facilement se faire passer pour elle. Pendant que Sadie lui raconte son histoire, Faith visite, horrifiée, cette propriété où deux enfants ont vécu en captivité dans la cave de la maison. Elle avise une tâche de sang près du canapé. Sadie lui raconte alors, très émue, que Laurel est décédée quatre mois plus tôt suite à des manques de soin (le ravisseur refusant de les emmener voir un médecin). Révoltée par la mort de son amie, Sadie a réussi à assommer et à tuer son geôlier. Elle s'est ensuite enfuie. Sadie s'est renseignée sur sa propre famille mais elle ne connaît pas son père et sa maman est décédée des suites d'une overdose. Ne sachant pas quoi faire, elle s'est présentée comme étant Laurel. Elle a donné une fausse piste à la police puisque le portrait robot qu'elle a fait de son ravisseur est faux et qu'elle ne leur a pas raconté la vérité.
            Dans le jardin de la maison se trouvent les deux tombes, celle du ravisseur et celle de Laurel. Faith s'effondre, en larmes, devant la tombe de sa grande sœur. Elle décide de protéger ses parents de cette douleur et de leur cacher la vérité. Sadie devant bientôt passer le test ADN exigé par la police, elle est obligée de partir. Faith l'aide à organiser son départ en lui donnant de l'argent et en lui faisant écrire une lettre, signée Laurel, expliquant à leurs parents qu'elle a besoin de partir voyager, de découvrir le monde… Juste avant le départ de Sadie, en cachette à 5 heures du matin, Faith lui demande pourquoi elle a embrassé Thomas. Sadie lui explique alors qu'elle avait besoin que Faith la haïsse pour que ce soit plus facile pour elle de partir mais que Thomas ne lui a pas rendu son baiser. Elle lui confie tristement qu'elle a été heureuse d'avoir été sa sœur, même pour quelques temps seulement. Puis Sadie part, sans se retourner.
            La fin de l'histoire est assez triste puisque les parents de Faith sont bouleversés par le soudain départ de celle qu'ils croient être Laurel. Au lycée, Faith ne retourne pas vers Thomas même si elle sait qu'il n'a rien à se reprocher car elle se rend compte qu'il ne lui manque pas et qu'elle ne l'aime pas. Elle évite aussi Martha, pour ne pas craquer et avouer toute la vérité à sa meilleure amie. Ce fardeau lui pèse mais elle veut cacher la mort de Laurel à tout le monde. Elle n'est pourtant pas la seule à se poser des questions puisque Michel, le compagnon de son père, lui fait comprendre qu'il a deviné que quelque chose clochait chez Laurel / Sadie. Il lui assure qu'il pourra être attentif et garder un secret si Faith a besoin de se confier. Régulièrement, Faith retourne se recueillir sur la tombe de sa sœur aînée. Elle a laissé Barnaby, le nounours, à côté de la tombe.

            Mon avis :

            J'apprécie beaucoup les livres de Cat Clarke, que j'ai quasiment tous lus. Dans celui-ci, il y a moins d'action et davantage de psychologie. Le lecteur suit les sentiments de Faith, le bouleversement provoqué par l'arrivée de Laurel / Sadie dans sa vie (dans leur vie de famille avec ses parents). Il a vraiment sa vision des choses, j'ai bien aimé cela car le personnage de Faith est très attachant. L'enquête policière n'est absolument pas décrite dans le livre et Faith ne s'implique pas dans les recherches, pourtant, de nombreux indices un peu étranges sur Laurel / Sadie font s'interroger le lecteur. Il peut alors imaginer des pistes. Par exemple, j'avais un peu deviné que la jeune femme retrouvée n'était pas Laurel à cause de son refus de passer des tests ADN. En plus de cela, d'autres indices sont un peu troublants, comme le fait que Laurel / Sadie ne se souvienne pas de l'une de ses copines d'enfance qu'elle avait avant son enlèvement. Mais j'avais aussi d'autres pistes : le fait qu'elle soit une enfant adoptée fait envisager d'autres hypothèses concernant son enlèvement (je pensais au départ que c'était peut-être quelqu'un de sa famille qui l'avait enlevée alors que pas du tout). L'obsession de Thomas pour l'histoire de la petite Laurel Logan kidnappée est assez étrange (je me suis demandé s'ils avaient un lien de parenté ou bien si Thomas enquêtait et allait découvrir la vérité), mais cela ne nous apprend finalement rien sur l'enlèvement de la fillette.

Milena Geneste-Mas