Anachroniques

28/01/2018

La méritocratie ou du management et de l’élitisme

à Cédric et Milena
Perrier Pascale, Le Stage, oskar éditeur, 2016, 184 p.
Ce roman social plonge dans la réalité des écoles de commerce et de leur culte de la compétition et de la concurrence. Cinq candidats viennent d’être recalés à l’entrée de Paris’com. La meilleure école de communication sur le marché des diplômes de ce secteur. Ils reçoivent chacun une lettre leur proposant un rattrapage. Il s’agit en fait d’une expérience psychologique sur la soumission des individus aux normes et sur la dynamique des groupes d’humains en situation de concurrence. Le groupe est filmé en permanence à son insu ce qui permet à un chercheur en psychologie sociale de mener une enquête pour une de ses futures publications La variation émotionnelle liée aux objectifs d’un groupe restreint. Il s’agit de montrer, à l’instar de l’expérience bien connue du psychologue Milgram, que les êtres humains s’organisent en hiérarchie et se soumettent à la parole institutionnelle identifiée à l’autorité. Le professeur à l’origine du subterfuge étudie « quels éléments psychologiques de personnalité sont mis en œuvre » « lorsqu’un groupe restreint se retrouve dans une situation conflictuelle à résoudre » (p.86). Même quand une des protagonistes comprend l’arrière scène de la situation, elle préfèrera ne pas se révolter car elle veut absolument intégrer cette école. Preuve est ainsi faite que le respect de l’intégrité des personnes n’a aucun poids face à la volonté de parvenir et que la rivalité est le moteur des comportements du groupe. Jusque dans quelle mesure, des individus, même se sachant manipulés sont-ils prêts à ne rien en laisser paraître pour arriver à leur fin ? C’est la psychologie de l’homme du capitalisme triomphant qui est ainsi décrite par ce roman qu’on ne peut que recommander à la lecture.

Charbonneau Joëlle, L’élite, traduit de l’américain par Amélie Sam, Milan, collection macadam, 2014, 312 p. 13€50
« L’oubli ne change pas le passé » p.251
On est dans un univers apocalyptique, la Terre est dévastée après les sept guerres qui ont ruiné les sols et détruit les infrastructures. La Communauté unifiée qui subsiste est organisée en colonies indépendantes les unes des autres, aux conditions de vie difficile : eau non potable, terre polluée. Ces colonies sont maintenues sous le commandement centralisateur des dirigeants réunis dans une capitale où règne l’abondance
L’éducation court jusqu’à 16 ans, âge auquel les adolescents entrent dans l’organisation du travail. Pour certains, choisis à l’issue de cette scolarité, c’est l’orientation vers le test pour entrer à l’université où ne sont formées que les élites de la Nation : « ils seront les médecins, les ingénieurs, les professeurs et les membres du gouvernement de demain. L’élite dont notre communauté a besoin ». Le test est conçu comme un rite de passage. Il est une procédure génératrice de compétition et de stress, fondée sur l’évaluation, c’est-à-dire le jugement hiérarchique des élites du pays. Il est présenté comme un dispositif répondant au besoin de la Communauté, voire appelé par le sentiment de citoyenneté. La fonction de ce dispositif méritocratique est d’assurer la reproduction sociale en soudant les membres du gouvernement de la Communauté unifiée et en limitant leur nombre. Il s’agit de perpétuer la citoyenneté de tous les colons par l’engendrement de la soumission à l’ordre imposé, ce pourquoi, aussi, le test est obligatoire si l’individu est choisi sous peine de jugement pour trahison. Le test comme rite social fonde la société sur les hiérarchies éternelles. La position sociale de chacun correspond au mérite de chacun. Le candidat éliminé, pénalisé par ses erreurs « a mérité ce qui lui est arrivé ». Tous méritants et à chacun sa place, en quelque sorte.
Ce maillage du rite de passage à l’âge adulte avec le reste de l’ensemble des citoyens passe par l’allocation aux familles des candidats d’une bourse pour compenser la perte d’une force de travail de la colonie à laquelle le candidat est prélevé.
Cette course à la réussite est matérialisée par une course d’orientation qui clôt les épreuves du test durant laquelle les candidats peuvent s’entretuer, suivant en cela la loi du chacun pour soi, une sorte de sélection élitaire où tous les moyens sont bons, s’ils prouvent une compétence d’initiative portant à la réussite. La réussite, ici, c’est survivre d’une part, éliminer les concurrents d’autre part, c’est-à-dire choisir l’antipathie contre la sympathie, la survie individuelle contre la vie coopérative. Distinction sociale, le test est pour les dirigeants un moyen de vérification de la conformité sociale des lauréats. Un effacement chimique de la mémoire conclut le test des méritants afin qu’aucun sentiment moral de sympathie vienne s’immiscer dans la gouvernance des jeunes dirigeants. La guerre aux affects est clairement inscrite dans le déroulement,  ce qui vient définir la hiérarchie comme œil panoptique. La hiérarchie pour se reproduire doit maintenir en défiance le peuple des colonies et l’espace géographique est organisé, de manière ostentatoire, pour opposer les « zones sécurisées » des « zones non sécurisées ». Ces dernières sont interdites car elles échappent au contrôle. La sécurité des citoyens est en réalité la sécurisation de l’ordre hiérarchique. Revitaliser les terres rendues impropres à la culture par les guerres c’est-à-dire être en capacité de se nourrir et « garder le peuple en sécurité » vont de pair dans l’idéologie dominante de la Communauté unifiée. Ce que le gouvernement appelle la confiance en l’ordre hiérarchique est démenti par la modalité même de sa reproduction. En effet, le test est un concours qui pousse les candidats à se défier de tous les autres. Ce que le test sélectionne, ce ne sont pas à proprement parler les connaissances mais les compétences psycho-sociales des candidats à la direction, à la prise de décision. Etre performant c’est écraser l’autre, c’est se sortir vivant de multiples pièges et situations artificielles de survie, c’est s’avérer conforme sous les caméras de vidéo-surveillance, c’est assumer la délation de tout comportement déviationniste y compris chez ses proches, c’est éviter de questionner les choix du gouvernement. Tout hiérarchisme aboutit à une conception sociale conservatrice ; toute l’élite est gardienne des lois ; la caste hiérarchique devient le cercle des proches en lieu et place des liens humains jusqu’alors noués et de ce fait voués à l’oubli : « Ce Test n’est pas destiné à évaluer nos choix mais notre capacité à vivre avec les choix que nous avons faits », « notre capacité à nous débarrasser de nos concurrents ».
Ce premier tome est une grande réussite. L’autrice reste sur l’arrête tendue du suspens et de l’hésitation dans l’interprétation des faits. Elle ne fait pas non plus de l’héroïne un individu hors norme mais la soumet à l’ordre tout en détaillant les indices de sa résistance à suivre dans les autres volumes…
Annie Mas & Philippe Geneste 

21/01/2018

Voir le monde par la bande et lire la littérature en contre-bande

Chabbert Ingrid (adaptation), Maurel Carole (Dessins), En attendant Bojangles, Steinkis 2017, 136 p. 18€
Il s’agit de l’adaptation  conçue par Ingrid Chabbert du roman au même titre d’Olivier Bourdeaut (voir le blog lisezjeunessepg du 28 mai 2017)  Les dessins de Carole Maurel soulignent la fantaisie et l’impertinence du texte.
Sous les yeux éblouis de leur enfant, les parents dansent sur l’air de Mr. Bojangles de Nina Simone. La mère se joue des embourbements du quotidien. La vie est dédiée au plaisir, à l’extravagance… Jusqu’au moment où les menaces des mauvais augures prennent forme et viennent blesser la merveilleuse maman, déchirant les voiles que les félicités de l’amour et de la maternité ont tissés. S’ouvre alors le temps de l’internement, de la schizophrénie, de la paranoïa, de la bipolarité. Ce ne sont que des mots pour encager l’être libre qui se joue de toute étiquette. L’enfant n’est ni rejeté de l’histoire amoureuse de ses parents, ne de leur anticonformisme, ni de la maladie ni de la mort. Pour petits et grands.
Annie Mas

Wandrille & Dunhill, Psychanalyse du bad guy, éditions Vraoum !, 2017, 16 p. 5€
Wandrille, c’est l’analyste, Dunhill, lui, croque les héros, tous ces vilains qui font succès de librairie et des salles sombres : Lock Ness, Frankenstein, Gremlins, Jocker et même Georges Sand transformée. Tous et toutes cherchent auprès de leur psychanalyste le réconfort car leur vie de pervers et cruels a fort éprouvé leur personnalité… 

Wandrille & Pochep, Psychanalyse du héros de publicité, éditions Vraoum !, 2017, 16 p. 5€
Voici Monsieur Propre, Bibendum Michelin, Malabar, Mamie Nova, Géant vert, La Vache qui rit, Banania, Prince de LU, Ronald McDonald, M&M’s, sur le divan du docteur Wandrille pour dire combien ils aimeraient que leur soit reconnue une autre personnalité que celle connue à travers leurs passages sur les clips publicitaires.

Pot Camille, Conversations de plage, éditions Warum, 2017, 180 p. 14€
L’ouvrage est une suite de dialogues dessinés en situation touristique de bronzage, de bain, de jeux de plage. De la réflexion philosophique à la blague lourde, de la déclaration d’amour à la scène conjugale, des remarques sur les regards, l’ouvrage se met à l’écoute des discussions banales qui se tiennent sur les s serviettes de plage en plein été. Autant que de dialogues, le livre est un livre de gags.

Rambaud Yann, Les gens du bureau, éditions Vraoum !, 2017, 96 p. 10€
Voici une critique acerbe du machisme ambiant du milieu de travail chez les cols blancs, avec, en particulier, la mise à l’index des cadres. Le format carré, les dessins en gris et gras, les visages sans regard, tout montre l’encadrement sous le projecteur de la fabrique des pressions au travail, du harcèlement, du droit de cuissage comme mot d’ordre de la hiérarchie. Le livre intègre intelligemment la figure du stagiaire, à la fois comme regard extérieur et comme pâte à modeler par les salarié.e.s et cadres. Un missile anti-cadre à qui ne manque que la nécessaire différenciation entre ordre salarial et ordre hiérarchique. En tout cas, l’album met en déroute les chefs des ressources humaines des entreprises avec acuité.

Gaudrat Marie-Agnès, Benaglia Fred, Adélidélo ne s’ennuie jamais, Bayard, collection miniBDkids, 2017, 64 p. 9€95
Pour les 5/7 ans (et non les 3 ans comme annoncé par l’éditeur), cet album de petit format comporte sept histoires liées au quotidien de l’enfant, ici une petite fille. Le fil directeur de l’écriture et du dessin est l’humour et la joie. C’est un album euphorique qui vise le divertissement.

Zeveren Michel Van, Les trois cochons petits et les drôles de loups, Bayard, collection miniBDkids, 2017, 64 p. 9€95 ; Zeveren Michel Van, Les trois cochons petits. Grenouilles, princes et princesses, Bayard, collection miniBDkids, 2017, 64 p. 9€95 ; 
Ces deux ouvrages sont écrits selon une même formule. Nous analyserons, ici, le premier ouvrage pour donner une idée de la série. Il s’agit d’une bande dessinée anthropocentrique et familialiste. Le conte initial (Les trois petits cochons) est le prétexte à l’écriture inventive de sept autres contes qui convoquent chacun d’autres contes traditionnels. On peut ainsi dire que Les trois cochons petits … est un exercice de style, dont la saveur repose entièrement sur l’intertextualité. La lecture se fait joie par la reconnaissance des autres histoires convoquées. Le graphisme adapté aux 5/7 ans (plutôt qu’aux enfants de 3 ans comme le suggère l’éditeur…) facilite l’entrée dans la lecture. A coup sûr, la prépondérance de l’intertextualité suit un penchant sensible de l’évolution de la littérature de jeunesse, une évolution qui lui assigne un ancrage culturel qui nécessite une éducation préalable pour ne pas s’inscrire dans le creusement des inégalités sociales. La lecture suppose une régulation au moins à distance de l’adulte ce qui confirme les analyses de Stéphane Bonnéry qui écrit : « le modèle social de l’enfant lecteur semble être celui qui a près de lui un adulte lecteur expert faisant une régulation à distance de l’activité de découverte du livre par l’enfant, capable de rentrer dans ce jeu d’enquête, d’attirer l’attention sur les mises en relation à opérer sans faire à la place de l’enfant… » (1)
Philippe Geneste

(1) Bonnéry Stéphane, « “L’enfant lecteur” du livre et le modèle social implicitedans le livre de “l’enfant lecteur” et de l’activité de lecture », dans Aranda Daniel (textes réunis par), L’Enfant et le livre, l’enfant dans le livre, Paris, L’Harmattan, 2012, pp.115-131_ p.129

14/01/2018

La face cachée de l’identité : sexualité et société

Peters Julie Anne, Cette Fille c’était mon frère, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Alice Marchand, Milan, 2016, 380 p. 13€90
L’évolution du contexte social et des débats qui traversent les sociétés se réfracte dans le secteur jeunesse. Ce livre réédite une des rares réussites du roman social destiné à la jeunesse et consacré à la question de la transidentité. Le roman de Julie-Anne Peters est initialement paru en 2005 sous le titre, La Face cachée de Luna, à une époque où les mouvements féministes américains menaient bataille pour que le débat sur les oppressions prît en compte le point de vue du genre. Ce livre est un effet de cette activité. Sa réédition est l’indice d’une avancée de ce thème au sein de la société et l’évolution du titre semble dire qu’il est plus aisé, aujourd’hui, d’aborder directement le sujet qu’il y a un peu plus de dix ans.
Peu de livres abordent les questions de sexualité et d'être masculin ou féminin, très peu, dans le domaine de la jeunesse. Il n'est pas sans signification que ce soit, comme dans le cas de L'Amour en chaussette de Gudule, le courant de naturalisme tempéré, dont on a vu qu'on peut dater l'apparition de 1998 avec la publication de Junk de Melvin Burgess (1), qui engendre un roman pour adolescent dans ce domaine. Cette Fille c’était mon frère est un roman d'apprentissage, un parcours d'initiation qui est parcours de transition : Liam, né garçon se vit en fille, mais à l'extérieur, pris dans les rets des comportements sociaux et des stéréotypies différenciées en fonction du genre, comment vivre ? Comment s'accepter ?
Le récit repose sur une dualité de héros ou plutôt d'héroïne : Liam qui se veut Luna cette fille qu'il est intérieurement, et sa sœur, Regan. C'est par son affirmation dans la société, par le courage d'apparaître lui/elle-même que Liam/Luna va conquérir, se conquérir, autant que conquérir sa place dans le choeur social.
La composition du récit s'appuie sur les rapports entre parents et adolescents – les jeunes gens vivant encore dans leur famille – et entre pairs, le cercle des amis et amies. Les dialogues tiennent une place essentielle. Il n'y a pas de dissertation de l'autrice sur le sujet de son livre. L'action et les dialogues livrent le sujet, l'approfondissent au fil des pages. Du coup, Cette Fille c’était mon frère montre que la tolérance est un privilège des dominants qui détermine l'espace du permis, et donc celui de l'interdit, dans des constructions sociales, dont la construction sexuelle identitaire. C'est pour cela que le roman porte une charge critique aiguisée contre l'homophobie et la norme hétérosexiste.
C'est un des thèmes de la réflexion d'un courant de la critique des genres, outre-atlantique, particulièrement fécond. Cette Fille c’était mon frère permet, également, au lecteur, de ne pas confondre transgenre et homosexualité. Là encore, sans que l'autrice n’emprunte la voie du discours scholastique. Aux dialogues est dévolue cette tâche.
Alors, le naturalisme tempéré de Peters réussirait-il, là où Burgess ne cesse d'échouer en ses fins de romans, à savoir laisser béante une brèche critique grâce et par la littérature de jeunesse ? Les études de genres, la défense des transgenres, ont une charge critique indéniable, ne serait-ce que dans le domaine capital de la stéréotypie sexuelle. Pour autant, si le livre de Peters excelle à faire advenir à la conscience du lectorat la complexité des désirs, il le laisse sans arme sur la question de la non-naturalité de l'hétérosexualité. Surtout, Luna part, va se mettre hors de son monde initial, pour achever sa transition ce qui renvoie l'héroïne à cet univers virtuel (Liam/Luna est un.e expert.e en informatique) dans lequel elle s'enfermait jusqu'alors pour mieux se trouver elle-même. C'est sûrement une limite, en tout cas, c'est notre sentiment, mais qui ne saurait suffire à diminuer l'intérêt assez exceptionnel du roman de Julie Anne Peters.
Philippe Geneste
(1) Voir notre contribution « Le roman social en fin de course, 1980-1990-2000 » dans Escarpit, Denise (sous a direction de), La Littérature de jeunesse d’hier à aujourd’hui, Paris, Magnard, 2008, pp.400-416


07/01/2018

Un guide pratique pour lutter contre le harcèlement scolaire

FRAISSE, Nora, Stop au harcèlement ! Le guide pour combattre les violences à l'école et sur les réseaux sociaux, Calmann-Lévy, 2015, 89 p., 4€50 ISBN : 9782702158722

Présentation de Nora Fraisse :

Dans le blog lisezjeunessepg du 3 avril 2016, j'ai déjà chroniqué un livre de Nora Fraisse intitulé Marion, treize ans pour toujours. Dans ce livre, l'auteur témoigne du drame qu'elle a vécu ainsi que toute sa famille en 2013 : sa fille, Marion, s'est suicidée à l'âge de treize ans. D'abord sous le choc, Nora et son mari ont voulu comprendre les raisons de ce suicide et ont fini, avec l'aide des gendarmes, par découvrir que leur fille était victime de harcèlement dans son collège. Son témoignage est très touchant mais aussi très instructif parce qu’il met en évidence les failles du système de l'Education Nationale (manque de surveillance, jeunes enseignants livrés à eux-mêmes...) et les rouages du harcèlement. Aux moqueries, bousculades, insultes quotidiennes que subissait Marion se sont rajoutés des textos et des messages haineux sur son mur Facebook. Le harcèlement physique subi au collège se poursuivait ensuite via les réseaux sociaux…
Après la mort de Marion, Nora Fraisse décrit une absence de compassion de la part de certaines familles des harceleurs de sa fille et le silence de la part du principal qui n’a cherché qu’à étouffer l'affaire. Elle découvre les principaux élèves qui intimidaient Marion, un noyau de cinq, même si ces élèves-là bénéficiaient de la complicité passive de leurs camarades, et a porté plainte contre eux.
Aujourd’hui, Nora Fraisse a créé l’association Marion Fraisse La main tendue pour aider les familles dont les enfants souffrent de harcèlement.

Présentation de la structure du livre

            Après la publication de Marion, treize ans pour toujours, Nora Fraisse propose ce nouvel ouvrage. Il se présente vraiment comme un petit guide pour lutter contre le harcèlement scolaire. Après une courte préface où l'auteur rappelle son histoire et contextualise le phénomène du harcèlement scolaire, le guide se compose de 14 chapitres, de sources d'informations à aller voir (sites Internet et livres), de contacts utiles et d'une annexe sur un usage responsable du téléphone portable.
            Tous les chapitres présentent la même structure. Tous sont très courts, d'environ trois pages. Ils comportent une présentation du thème (je vais revenir sur chaque thème étudié), des témoignages de personnes victimes de harcèlement (des adolescents mais également des adultes en ayant souffert pendant leur enfance) et également d'anciens élèves harceleurs, un paragraphe intitulé « Attention ! » où Nora Fraisse met en garde contre certaines idées reçues ou précise un aspect du chapitre. Un petit récapitulatif intitulé « Ai-je bien compris ? » permet d’en retenir l'essentiel.

Résumé du livre

            Le harcèlement est « une violence répétée, qui peut être verbale, physique ou psychologique. C'est un rapport de domination » (p.15). Le harcèlement scolaire est « un projet de destruction orchestré par un élève qui savoure son pouvoir sur plus faible que lui […] Dans le cas du harcèlement, il est rare que son auteur reconnaisse ses torts. Souvent, il accuse sa victime et prétend qu'il n'a rien fait de grave » (p.25).
A l’ère du numérique, un autre type de harcèlement est apparu : le cyber-harcèlement. En plus de harceler leur victime lorsqu’ils la croisent, les élèves harceleurs utilisent Internet et le téléphone pour continuer leurs humiliations et leurs menaces. Selon un Rapport de l’Unicef, un adolescent sur huit a déjà été victime de persécution en ligne.
Il n'y pas de critères précis pouvant expliquer pourquoi certains élèves peuvent devenir des victimes du harcèlement si ce n'est une différence quelconque : au niveau de l'apparence physique d'un élève (poids, taille…), de son attitude en classe, de son origine ethnique ou culturelle, de son milieu social, de son choix sexuel. « Le harcèlement prospère sur le rejet de la différence » (p.27).
            Certains membres de la communauté scolaire peuvent hésiter à intervenir, pensant que ce genre de violences est une étape dans l'apprentissage de la vie. Mais ce n'est pas du tout le cas, car toutes les formes de harcèlement sont nocives pour les victimes et aussi pour ceux qui les harcèlent ou se taisent. De graves troubles peuvent trouver leur origine dans des cas de harcèlement, comme le décrochage scolaire, la dépression, des addictions à l'alcool ou la drogue, des troubles de l'alimentation, des automutilations et une mauvaise estime de soi. Dans les pires cas, l'élève harcelé peut même en arriver à se suicider, comme cela a malheureusement été le cas pour la petite Marion.
            Les victimes de harcèlement peuvent réagir différemment en fonction de leur âge. A l'école primaire, l'élève victime va avoir tendance à se replier sur lui-même et à s'isoler. Au collège et au lycée, l'élève veut parfois essayer de régler lui-même son problème. Il ne veut pas inquiéter ses parents. Mais il est rare que l'élève victime puisse arrêter tout seul le harcèlement qu'il subit parce que le rapport de forces avec son ou ses agresseur(s) est trop inégal. Certains élèves victimes tentent de pactiser avec leurs harceleurs et il devient plus difficile de comprendre qu'ils sont en fait victimes. En adoptant cette tactique, ces élèves aggravent leur mal-être sans recevoir l'aide dont ils ont besoin.
            Certains élèves harcelés en arrivent à devenir harceleurs pour échapper à leur rôle perpétuel de souffre-douleur. Mais souvent, les harceleurs sont des élèves qui ont besoin d'être admirés par les autres, qui aiment dominer un élève plus vulnérable quitte à en être craint et à faire peur. Sa victime devient un objet pour l'élève harceleur. Il peut parfois avoir une mauvaise image de lui-même et avoir du mal à gérer ses relations avec les autres sans faire preuve d’un rapport de forces avec eux. Il peut aussi supporter difficilement les règles, les contraintes et l'autorité des adultes. L'élève harceleur résout ses problèmes personnels en s'en prenant à moins fort que lui. Il ne sait pas s'arrêter quand il cède à ses pulsions. Cependant, les harceleurs, s'ils ont l'intention de faire mal, ne se rendent pas forcément compte de la gravité de leurs actes et des conséquences de ce qu'ils font.
            Concernant les élèves témoins d'un harcèlement, ils sont les mieux placés pour stopper ces situations en parlant avec un adulte (membres de la communauté scolaire ou parents). Le problème est que, souvent, les élèves témoins évitent de prendre parti par peur de représailles. D'autres s'amusent aussi de la détresse de la victime. Nora Fraisse insiste bien sur le fait que, s'il ne dénonce pas les violences faites à la victime, le témoin est complice qu'il prenne part au harcèlement ou non. Et cela vaut aussi pour les membres de la communauté scolaire qui minimisent le problème.
            Il est important aussi d'informer les parents sur le harcèlement scolaire. Ils peuvent en voir les symptômes même si chaque enfant réagit différemment. Le mal-être de l'enfant peut se traduire de différentes manières : il peut brutalement ne plus avoir envie d'aller à l'école, avoir ses notes qui chutent rapidement, entretenir un rapport compliqué avec la nourriture (en ne mangeant presque plus ou, au contraire, en mangeant beaucoup), avoir des troubles du sommeil ou encore fuir ses camarades. Un élève constamment exclu des autres, seul à la cantine ou au CDI (Centre de Documentation et d’Information), peut être victime de harcèlement.
            Chaque année en France, un enfant sur dix est victime de harcèlement scolaire, qui est longtemps resté un phénomène ignoré par les pouvoirs publics. En effet, la première campagne contre le harcèlement scolaire en France date de 2011 seulement alors que la Norvège en a fait dès 1983. En France, en 2015, à peine un quart des établissements scolaires ont mis en place une politique de prévention contre le harcèlement, deux ans après la loi de refondation de l'école qui l'impose depuis 2013.
Pour prévenir le harcèlement qui a lieu dans l’enceinte de l’établissement, Nora Fraisse préconise une politique active des responsables scolaires, en concertation avec les familles, une formation pour les enseignants, une prise de conscience de la part des parents et des enfants. Ces derniers, s’ils sont victimes ou témoins d’un cas de harcèlement, doivent contacter des adultes, qu’ils soient parents ou membres de la communauté éducative. Un enseignant témoin de harcèlement peut en parler avec le CPE (Conseiller Principal d’Education) pour les collèges et les lycées. Il faut en informer le chef d’établissement ou le directeur d’école. Des équipes mobiles de sécurité académiques peuvent intervenir en milieu scolaire et améliorer la prise en charge des élèves dont les comportements sont problématiques. La famille de l’élève harcelé, ou l’enfant lui-même, peut également contacter le numéro vert mis en place par le Ministère de l’Education Nationale, le numéro Stop harcèlement, le numéro Jeunes Violences Ecoute ou le 119 (Service national d’accueil téléphonique de l’Enfance en danger). Il peut aussi prendre contact avec l’un des « référents harcèlement » chargé dans chaque Académie des actions de prévention, l’un des médiateurs de l’Education Nationale ou un inspecteur d’académie. Il est important d’obtenir un accompagnement et un suivi pour vérifier que le harcèlement a bien pris fin.
En cas de cyber-harcèlement, les familles peuvent appeler le numéro vert Net Ecoute, géré par e-Enfance. Cette association peut aider à retirer des photos ou des propos humiliants ou faire fermer des comptes. Concernant les solutions pour lutter contre le cyber-harcèlement, il faut faire des captures d’écran, des sauvegardes de SMS ou des emails qui sont menaçants. L’adresse IP, l’historique de navigation, les mots-clés saisis dans le moteur de recherche peuvent aussi être retrouvés. Les photos ou les vidéos humiliantes publiées sans le consentement de la personne concernée peuvent constituer des pièces à conviction en cas de plainte.
Les familles des victimes peuvent contacter des associations contre le harcèlement scolaire. Pour citer celle de Marion Fraisse La main tendue, elle recueille énormément de témoignages et a lancé le 16 mars 2015 une pétition réclamant un numéro court d'aide aux victimes, disponible 7 jours sur 7. Elle demande également qu'un guide de lutte contre le harcèlement scolaire soit inséré dans le carnet de liaison de l'élève à chaque rentrée, qu'il y ait plus de moyens humains et des formations pour les équipes pédagogiques
Enfin, le harcèlement scolaire est puni par la loi et les familles des enfants victimes ont la possibilité de porter plainte. Un enfant mineur peut d’ailleurs se présenter seul au commissariat pour signaler les faits, même s’il ne peut pas se constituer partie civile. Les enfants de moins de treize ans ne peuvent pas aller en prison ou payer une amende, ce sont leurs parents qui sont responsables civilement de leurs actes. Pour les autres, les peines varient de 6 mois à 18 mois de prison et l’amende peut monter jusqu’à 7500 euros.

Mon avis

            Ce livre est très documenté sur le sujet du harcèlement scolaire. Il se lit facilement car les chapitres sont très courts et il est facile de s’y repérer. J’ai beaucoup d’admiration pour Nora Fraisse qui cherche vraiment à comprendre les mécanismes du harcèlement, y compris en essayant de trouver l’origine de tels comportements chez des élèves harceleurs. Je trouve cela très louable de sa part étant donné que sa petite fille est décédée à cause d’élèves comme ça. Tout comme Marion treize ans pour toujours, je pense que ce livre doit être dans tous les CDI des EPLE (Etablissement Public Local d’Enseignement), à la destination des élèves mais également des enseignants.
Concernant le cyber-harcèlement, certains élèves créent de faux profils Facebook, piratent des comptes, publient des photos sans l’autorisation de la personne concernée dans l’intention de nuire. Ils n’ont aucune idée que ce qu’ils font est puni par la loi et ignorent la notion de droit à l’image ou de droit d’auteur. Internet semble être pour certains enfants une zone où tout est permis, y compris de manquer de respect à un camarade, où tout est anonyme. Pourtant, tout écrit laisse une trace. Des lois existent pour protéger la vie privée et la dignité des personnes. La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) est une autorité administrative veillant à cela. Le contrat pour une utilisation responsable du téléphone portable proposé par Nora Fraisse est un très bon outil, qu’elle destine aux parents, mais les enseignants peuvent aussi l’exploiter. Il me semble vraiment important que chaque élève comprenne l’importance qu’il y a à gérer son identité numérique, à ne pas porter atteinte à autrui sur les réseaux sociaux et à connaître les règles qui régissent Internet concernant la propriété intellectuelle. Il faut, selon moi, les former à cela dès le collège, voire même à l’école primaire. Pourquoi pas autour d’un projet pédagogique ou lors des cours d’EMC (Enseignement Moral et Civique) ou d’EMI (Education aux Médias et à l’Information) avec le professeur documentaliste ?

Milena Geneste-Mas