à Cédric et Milena
Perrier
Pascale, Le Stage, oskar éditeur, 2016, 184 p.
Ce roman social plonge dans la
réalité des écoles de commerce et de leur culte de la compétition et de la
concurrence. Cinq candidats viennent d’être recalés à l’entrée de Paris’com. La
meilleure école de communication sur le marché des diplômes de ce secteur. Ils
reçoivent chacun une lettre leur proposant un rattrapage. Il s’agit en fait
d’une expérience psychologique sur la soumission des individus aux normes et
sur la dynamique des groupes d’humains en situation de concurrence. Le groupe
est filmé en permanence à son insu ce qui permet à un chercheur en psychologie
sociale de mener une enquête pour une de ses futures publications La
variation émotionnelle liée aux objectifs d’un groupe restreint. Il
s’agit de montrer, à l’instar de l’expérience bien connue du psychologue
Milgram, que les êtres humains s’organisent en hiérarchie et se soumettent à la
parole institutionnelle identifiée à l’autorité. Le professeur à l’origine du
subterfuge étudie « quels éléments
psychologiques de personnalité sont mis en œuvre » « lorsqu’un groupe restreint se retrouve dans
une situation conflictuelle à résoudre » (p.86). Même quand une des
protagonistes comprend l’arrière scène de la situation, elle préfèrera ne pas se
révolter car elle veut absolument intégrer cette école. Preuve est ainsi faite
que le respect de l’intégrité des personnes n’a aucun poids face à la volonté
de parvenir et que la rivalité est le moteur des comportements du groupe.
Jusque dans quelle mesure, des individus, même se sachant manipulés sont-ils
prêts à ne rien en laisser paraître pour arriver à leur fin ? C’est la
psychologie de l’homme du capitalisme triomphant qui est ainsi décrite par ce
roman qu’on ne peut que recommander à la lecture.
Charbonneau Joëlle, L’élite, traduit de l’américain par
Amélie Sam, Milan, collection macadam,
2014, 312 p. 13€50
« L’oubli ne change pas le passé » p.251
On est dans un univers
apocalyptique, la Terre
est dévastée après les sept guerres qui ont ruiné les sols et détruit les
infrastructures. La
Communauté unifiée qui subsiste est organisée en colonies
indépendantes les unes des autres, aux conditions de vie difficile : eau
non potable, terre polluée. Ces colonies sont maintenues sous le commandement
centralisateur des dirigeants réunis dans une capitale où règne l’abondance
L’éducation court jusqu’à 16 ans,
âge auquel les adolescents entrent dans l’organisation du travail. Pour
certains, choisis à l’issue de cette scolarité, c’est l’orientation vers le
test pour entrer à l’université où ne sont formées que les élites de la Nation : « ils seront les médecins, les ingénieurs, les
professeurs et les membres du gouvernement de demain. L’élite dont notre
communauté a besoin ». Le test est conçu comme un rite de passage. Il est
une procédure génératrice de compétition et de stress, fondée sur l’évaluation,
c’est-à-dire le jugement hiérarchique des élites du pays. Il est présenté comme
un dispositif répondant au besoin de la Communauté , voire appelé par le sentiment de
citoyenneté. La fonction de ce dispositif méritocratique est d’assurer la
reproduction sociale en soudant les membres du gouvernement de la Communauté unifiée et
en limitant leur nombre. Il s’agit de perpétuer la citoyenneté de tous les
colons par l’engendrement de la soumission à l’ordre imposé, ce pourquoi,
aussi, le test est obligatoire si l’individu est choisi sous peine de jugement
pour trahison. Le test comme rite social fonde la société sur les hiérarchies
éternelles. La position sociale de chacun correspond au mérite de chacun. Le
candidat éliminé, pénalisé par ses erreurs « a mérité ce qui lui est arrivé ». Tous méritants et à chacun
sa place, en quelque sorte.
Ce maillage du rite de passage à
l’âge adulte avec le reste de l’ensemble des citoyens passe par l’allocation
aux familles des candidats d’une bourse pour compenser la perte d’une force de
travail de la colonie à laquelle le candidat est prélevé.
Cette course à la réussite est
matérialisée par une course d’orientation qui clôt les épreuves du test durant
laquelle les candidats peuvent s’entretuer, suivant en cela la loi du chacun pour
soi, une sorte de sélection élitaire où tous les moyens sont bons, s’ils
prouvent une compétence d’initiative portant à la réussite. La réussite, ici,
c’est survivre d’une part, éliminer les concurrents d’autre part, c’est-à-dire
choisir l’antipathie contre la sympathie, la survie individuelle contre la vie
coopérative. Distinction sociale, le test est pour les dirigeants un moyen de
vérification de la conformité sociale des lauréats. Un effacement chimique de
la mémoire conclut le test des méritants afin qu’aucun sentiment moral de
sympathie vienne s’immiscer dans la gouvernance des jeunes dirigeants. La
guerre aux affects est clairement inscrite dans le déroulement, ce qui vient définir la hiérarchie comme œil
panoptique. La hiérarchie pour se reproduire doit maintenir en défiance le
peuple des colonies et l’espace géographique est organisé, de manière
ostentatoire, pour opposer les « zones
sécurisées » des « zones non sécurisées ». Ces
dernières sont interdites car elles échappent au contrôle. La sécurité des
citoyens est en réalité la sécurisation de l’ordre hiérarchique. Revitaliser
les terres rendues impropres à la culture par les guerres c’est-à-dire être en
capacité de se nourrir et « garder
le peuple en sécurité » vont de pair dans l’idéologie dominante de la Communauté unifiée. Ce
que le gouvernement appelle la confiance en l’ordre hiérarchique est démenti
par la modalité même de sa reproduction. En effet, le test est un concours qui
pousse les candidats à se défier de tous les autres. Ce que le test
sélectionne, ce ne sont pas à proprement parler les connaissances mais les
compétences psycho-sociales des candidats à la direction, à la prise de
décision. Etre performant c’est écraser l’autre, c’est se sortir vivant de
multiples pièges et situations artificielles de survie, c’est s’avérer conforme
sous les caméras de vidéo-surveillance, c’est assumer la délation de tout
comportement déviationniste y compris chez ses proches, c’est éviter de
questionner les choix du gouvernement. Tout hiérarchisme aboutit à une
conception sociale conservatrice ; toute l’élite est gardienne des
lois ; la caste hiérarchique devient le cercle des proches en lieu et
place des liens humains jusqu’alors noués et de ce fait voués à l’oubli :
« Ce Test n’est pas destiné à
évaluer nos choix mais notre capacité à vivre avec les choix que nous avons
faits », « notre capacité à
nous débarrasser de nos concurrents ».
Ce premier tome est une grande
réussite. L’autrice reste sur l’arrête tendue du suspens et de l’hésitation
dans l’interprétation des faits. Elle ne fait pas non plus de l’héroïne un
individu hors norme mais la soumet à l’ordre tout en détaillant les indices de
sa résistance à suivre dans les autres volumes…
Annie Mas & Philippe Geneste